Le pari d’une infrastructure stratégique
Annoncé dans la capitale congolaise par le ministre de l’Énergie et de l’Hydraulique, Émile Ouosso, le Pasel ambitionne de donner une impulsion nouvelle au secteur électrique grâce à un financement de cent millions de dollars américains, soit près de soixante milliards de francs CFA, mobilisés auprès de la Banque mondiale. L’envergure du projet rappelle combien la question énergétique demeure l’un des vecteurs prioritaires de la politique de développement conduite par les autorités de Brazzaville, soucieuses de conjuguer croissance économique, stabilité sociale et transition écologique.
Au-delà de l’annonce, l’initiative traduit la volonté du gouvernement de renforcer la résilience d’une infrastructure souvent mise à l’épreuve par la croissance démographique et l’urbanisation rapide. L’axe haute tension Pointe-Noire–Brazzaville, ossature vitale longue de près de 530 kilomètres, constitue le cœur du dispositif. Sa réhabilitation, attendue depuis plusieurs exercices budgétaires, participe d’une logique de sécurisation d’un corridor énergétique stratégique qui alimente non seulement les principaux pôles urbains mais aussi les centres industriels du littoral.
Renforcer le transport, la clé de voûte technique
Premier volet du Pasel, la modernisation du réseau de transport s’appuie sur la fourniture d’équipements statiques et la rénovation de trois postes 220 kV répartis le long de la ligne. Les interventions prévues sur les sites de Ngoyo, Mbouono et Mboundi, alliées au remplacement des isolateurs et à la remise à neuf de 130 kilomètres de conducteurs, doivent réduire les incidents de coupure et améliorer l’amplitude de la charge disponible.
En parallèle, la modernisation du système d’automatisation Scada répond à un impératif de pilotage en temps réel, indispensable pour anticiper les pics de demande et intégrer, à terme, les futures capacités issues des énergies renouvelables. Les ingénieurs de la société Énergie Électrique du Congo (E2C) soulignent que l’ancienne plateforme atteignait ses limites technologiques, faisant de cette mise à niveau une condition sine qua non pour aligner le pays sur les standards régionaux portés par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale.
Distribution et lutte contre les pertes non techniques
La seconde composante, consacrée à la distribution et à la vente au détail, vise une cible sensible : la réduction durable des pertes non techniques, évaluées à près de 30 % selon les audits réalisés en 2022. Pour rompre avec ce déficit, le programme de protection des recettes prévoit un suivi rapproché de la consommation des 26 000 plus gros clients, qui concentrent environ 60 % du chiffre d’affaires d’E2C.
Le déploiement de 120 000 compteurs intelligents, auprès d’abonnés publics comme privés, marque une évolution majeure vers la facturation à la consommation réelle et la transparence des transactions. Au-delà de la dimension technique, cette démarche porte également un enjeu de pédagogie sociale : réconcilier l’usager avec le service public en promouvant une culture de paiement qui garantisse à l’opérateur les ressources nécessaires à la maintenance du réseau.
Capacitation institutionnelle et réformes sectorielles
Troisième pilier du Pasel, l’appui institutionnel accompagne la réforme entamée en 2022 visant à clarifier les rôles entre ministère de tutelle, régulateur et exploitant. Les volets formation, assistance technique et études de diagnostic pour le secteur de l’eau traduisent une approche intégrée voulue par les bailleurs, convaincus que l’énergie et l’hydraulique forment un couple indissociable au service des objectifs de développement durable.
Conformément aux directives de la Banque mondiale, l’accent sera mis sur la planification à moyen terme, la normalisation des indicateurs de performance ainsi que sur la consolidation des processus de passation de marchés. Les experts y voient un levier pour renforcer la transparence et attirer de nouveaux capitaux privés, notamment dans la production, où le potentiel hydroélectrique et solaire reste encore largement sous-exploité.
Enjeux socio-économiques et rayonnement régional
Avec une demande intérieure appelée à croître de 6 % par an, la réussite du Pasel pourrait agir comme un multiplicateur de valeur pour l’ensemble de l’économie nationale. L’amélioration de la continuité de service est attendue par les industriels du bois, du ciment ou des télécommunications, lesquels soulignent que chaque heure de délestage génère un manque à gagner significatif. Dans les foyers, la qualité de la desserte demeure également un déterminant majeur des conditions de vie, influençant la scolarité, la sécurité et la santé.
Sur le plan diplomatique, la modernisation de l’axe haute tension ouvre la voie à de possibles échanges transfrontaliers d’électricité avec la République démocratique du Congo et le Gabon, conformément aux ambitions de la Northern Corridor Integration Projects. Une interconnexion maîtrisée pourrait, à terme, sécuriser des recettes d’exportation tout en consolidant l’image d’un Congo-Brazzaville contributeur de la stabilité énergétique régionale.
En présentant le Pasel, le ministre Émile Ouosso a rappelé que « l’ouvrage énergétique est à la fois un instrument de souveraineté et un catalyseur de cohésion sociale ». Un propos qui illustre la portée symbolique du projet : joindre la modernité technologique à la quête d’une prospérité partagée, sous l’œil attentif des partenaires internationaux et des opérateurs privés, dans un contexte budgétaire où chaque franc CFA investi doit se traduire par un kilowatt-heure effectivement livré.