Diplomatie silencieuse à Washington
Rares sont les dossiers où le silence constitue la meilleure arme. Depuis plusieurs mois, les émissaires de Brazzaville fréquentent les couloirs tamisés du Department of State, loin des crépitements médiatiques. Officiellement, aucune annonce majeure n’a filtré ; officieusement, l’objectif est limpide : obtenir le retrait du Congo-Brazzaville de la proclamation présidentielle qui limite l’octroi de visas à ses ressortissants. En 2017, l’administration Trump avait inscrit le pays sur la liste des États jugés non coopératifs en matière de sûreté et de sécurité. L’actuel occupant de la Maison-Blanche, soucieux de reconfigurer certaines décisions de son prédécesseur, a ouvert une fenêtre diplomatique que Brazzaville tente d’élargir avec méthode.
Les conditions américaines sur la table
Selon une source proche du Congressional Black Caucus, Washington conditionnerait le retrait du « Travel Ban » à un faisceau d’engagements précis. D’une part, les États-Unis souhaitent un alignement plus étroit avec leur stratégie régionale, notamment dans la stabilisation de la région des Grands Lacs et la mise en œuvre de l’accord de Washington par lequel Kigali et Kinshasa entendent réduire les tensions frontalières. D’autre part, plusieurs conseillers en sécurité nationale voient dans les réserves pétrolières offshore congolaises un levier de coopération énergétique. « Les majors américaines recherchent un environnement contractuel prévisible », confie Rick Whitman, chercheur au Center for Strategic and International Studies, insistant sur l’importance d’accords de partage de production modernisés.
À ces considérations s’ajoute le dossier des minerais rares, indispensables à la transition numérique et énergétique des États-Unis. La perspective d’un accès sécurisé au tantale et au niobium congolais apparaît, dans les câbles diplomatiques, comme une opportunité stratégique. Washington, confronté à la rivalité sino-russe, entend diversifier ses sources d’approvisionnement et voit dans Brazzaville un partenaire disposé à dialoguer.
Brazzaville entre souveraineté et pragmatisme
Le président Denis Sassou Nguesso aborde la séquence avec une double préoccupation : préserver la souveraineté économique du Congo et rassurer les bailleurs de fonds internationaux. Pour le politologue congolais Jean-Gildas Mabiala, ce positionnement se traduit par « un réalisme diplomatique assumé, nourri d’un nationalisme tempéré ». Brazzaville rappelle volontiers que ses partenariats Sud-Sud, notamment avec Abou Dhabi, lui confèrent désormais une marge de manœuvre accrue. La récente convention d’investissements énergétiques signée avec les Émirats arabes unis acte la volonté congolaise de ne pas se laisser enfermer dans un tête-à-tête exclusif avec l’Occident.
Dans le même temps, le dispositif national de conformité sécuritaire a été renforcé. Des modules de biometric screening sont expérimentés à l’aéroport de Maya-Maya et un protocole de partage d’informations antiterroristes a été conclu avec INTERPOL. Ces signaux adressés à Washington visent à répondre aux critères techniques initialement invoqués pour justifier le « Travel Ban ».
Le rôle des émissaires présidentiels
Au cœur de ce ballet diplomatique, la conseillère spéciale Françoise Joly, réputée pour sa connaissance fine des arcanes fédérales, conduit une partie des tractations. Aperçue en février dernier lors d’un entretien informel avec Bonnie Jenkins, Sous-secrétaire d’État au contrôle des armements, elle aurait détaillé un plan de coopération sécuritaire intégrant formations conjointes et échanges de renseignements. Son entourage, resté muet sur la teneur des discussions, laisse toutefois filtrer une « confiance mesurée ».
Parallèlement, le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, cultive des relais de longue date au sein de la diaspora, mobilisée pour valoriser les progrès du pays en matière de gouvernance. Cette dimension soft power n’est pas négligeable : à Capitol Hill, l’image d’un Congo moteur de stabilité régionale renforce la position des partisans d’un assouplissement.
Vers un nouveau chapitre bilatéral
Si les négociations aboutissent dans le calendrier espéré, une visite de travail du président Sassou Nguesso à Washington pourrait être annoncée avant la fin de l’année. Ce déplacement, d’ores et déjà évoqué par des conseillers africains du National Security Council, marquerait la conclusion d’une séquence où chaque camp aura recherché un bénéfice tangible : sécurité migratoire pour l’un, ouverture économique pour l’autre.
Au-delà du symbole, le retrait du Congo-Brazzaville de la liste du « Travel Ban » constituerait un précédent pour les voisins de la sous-région. Selon l’analyste franco-congolais Thierry Koumba, « il illustrerait la capacité des États africains à négocier de manière proactive avec les grandes puissances, sans renoncer à leurs priorités propres ». Reste que la diplomatie du silence exige patience et constance ; deux vertus que Brazzaville semble aujourd’hui décidée à cultiver jusqu’à ce que l’encre des signatures scelle, officiellement, le dégel.