Une agora logistique au cœur du golfe de Guinée
Pointe-Noire, cité portuaire par excellence, a accueilli du 14 au 16 juillet les dixièmes Journées du chargeur africain. Sous le haut patronage d’Ingrid Olga Ghislaine Ebouka Babackas, ministre des Transports, de l’Aviation civile et de la Marine marchande, la rencontre a réuni les délégations de dix-neuf pays membres de l’Union des conseils des chargeurs africains (UCCA). Présidente en exercice de l’organisation, la Sénégalaise Ndeye Rokhaya Thiam s’est félicitée d’« une participation qui illustre la vitalité de la diplomatie logistique du continent ». La présence d’un émissaire de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) a conféré à l’événement un relief stratégique, tant les enjeux de connectivité conditionnent désormais la réussite du marché unique africain.
Enjeux maritimes et arbitrage des intérêts commerciaux
Consacrée au thème « Les conseils des chargeurs africains face aux enjeux contemporains des transports maritimes et du commerce international », la rencontre a d’abord dressé l’état d’un secteur pluriel. Entre inflation des coûts du fret, normes environnementales plus exigeantes et impératifs de souveraineté économique, les experts ont poussé l’analyse. Pour l’économiste camerounais Pascal Manga, « la raréfaction des capacités sur certaines lignes maritimes africaines provoque un renchérissement structurel des importations et fragilise la compétitivité des exportations régionales ». À l’heure où la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement mondiales se précise, la maîtrise de la variable logistique devient un axe de sécurité économique.
Numérisation et intelligence artificielle : accélérateurs de productivité
Les débats ont ensuite éclairé la percée du numérique. La plateformisation des réservations de fret, l’essor de la traçabilité en temps réel et la prévision de la demande par algorithmes bouleversent la profession. Selon le professeur malien Souleymane Diallo, « l’intelligence artificielle réduit de 30 % les délais de transit sur les corridors dotés d’outils de planification prédictive ». L’enjeu n’est pas uniquement technologique ; il est aussi culturel, car il oblige les opérateurs à repenser la gouvernance des données. Les participants ont donc appelé à une mutualisation continentale des standards afin d’éviter la fragmentation et de garantir l’interopérabilité des systèmes.
Diplomatie des corridors et déploiement de la ZLECAf
La matérialité des infrastructures est restée au cœur des préoccupations. Les pays sans littoral – Burkina Faso, Niger ou Tchad – ont souligné la nécessité d’investir dans l’entretien des routes, la fiabilisation des chemins de fer et la fluidité douanière. La ZLECAf, entrée en phase opérationnelle depuis 2021, ne pourra générer les 450 milliards de dollars de commerce supplémentaire projetés par la CEA que si les corridors transfrontaliers gagnent en résilience. D’où l’appel réitéré à la levée des barrières physiques et non physiques ; un plaidoyer relayé par plusieurs délégations auprès des États, mais aussi des institutions financières régionales.
Recommandations : une feuille de route à géométrie continentale
Au terme des trois journées, les chargeurs ont formulé une série de recommandations articulées autour de trois cibles. À l’UCCA, il est demandé d’élaborer une stratégie commune d’appropriation de la ZLECAf, tout en promouvant les instruments de la Chambre de commerce internationale, notamment les Incoterms et l’arbitrage. Aux conseils nationaux, les participants préconisent la mise en place d’observatoires de performance des corridors, la veille sur l’évolution des taux de fret et la promotion de chaînes logistiques intégrées. Enfin, les États sont invités à ratifier les règles de Rotterdam et à garantir la connectivité inter-services, posant ainsi les jalons d’un environnement juridique et technique harmonisé.
Le Congo-Brazzaville, moteur discret de la convergence régionale
Dans son allocution de clôture, Dominique Candide Fabrice Koumou Boulas, directeur général du Conseil congolais des chargeurs, a insisté sur l’ambition de bâtir une « Maison Transport » susceptible de catalyser la formation, l’innovation et la recherche dans le domaine logistique. Appuyé par les autorités nationales, le projet participe de la stratégie gouvernementale visant à consolider la position de Pointe-Noire comme hub régional. Selon la ministre Ingrid Olga Ghislaine Ebouka Babackas, « la performance de nos corridors conditionne l’attractivité des investissements et, in fine, l’émergence économique ». En conjuguant volonté politique et engagement du secteur privé, le Congo-Brazzaville entend ainsi contribuer à l’essor d’un espace de commerce continental plus fluide, plus compétitif et plus durable.