Diplomatie économique sud-sud
Dans le salon feutré du ministère congolais des Transports, la poignée de main échangée le 16 juillet entre Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas et l’ambassadrice Laura Evangelia Suàrez témoigne d’un virage assumé : la relation historique entre Brazzaville et Caracas, longtemps confinée aux hydrocarbures, s’ouvre désormais à la logistique maritime. Cette inflexion s’inscrit dans la géostratégie de diversification prônée par le président Denis Sassou Nguesso et trouve un écho favorable auprès des autorités vénézuéliennes, désireuses d’élargir leur spectre d’alliances en Afrique centrale.
Des hydrocarbures à la logistique portuaire
Le partenariat pétrolier, scellé à la fin des années 2000, reste le socle financier de la coopération bilatérale. Pourtant, la volatilité des cours et la pression internationale sur les énergies fossiles ont convaincu les deux gouvernements de valoriser des segments connexes à plus forte résilience. La marine marchande apparaît comme un vecteur naturel : elle transporte l’or noir, mais peut, par la même coque, convoyer ciment, acier ou produits agro-industriels, offrant ainsi de nouvelles marges de manœuvre commerciales. « Nous souhaitons capitaliser sur notre expérience de transport pétrolier pour structurer une flotte polyvalente à Pointe-Noire », confie une source proche de la commission mixte, soulignant le savoir-faire de la compagnie publique vénézuélienne PDV Marina.
Le potentiel fluvial et océanique congolais
Dotée d’un linéaire côtier de près de 170 km et adossée à l’un des rares ports en eau profonde du golfe de Guinée, Pointe-Noire se positionne comme porte d’entrée naturelle vers la République démocratique du Congo, la Centrafrique et le Tchad. Le corridor Pointe-Noire-Brazzaville-Bangui-Ndjamena, soutenu par la Banque africaine de développement, suppose un continuum maritime, ferroviaire et fluvial cohérent. La modernisation de la flotte marchande congolaise, quasi inexistante depuis la dissolution de la société nationale Coubel en 1993, devient donc un enjeu d’intégration sous-régionale autant qu’un impératif de souveraineté économique.
Transferts de compétences et diplomatie de la formation
Caracas mise sur son expérience de transporteur de brut lourd pour offrir au Congo un accompagnement technique : ingénierie navale, maintenance, certification et formation de capitaines. Le centre de formation de Puerto La Cruz pourrait accueillir dès 2024 une première promotion de vingt officiers congolais, tandis qu’un détachement d’instructeurs vénézuéliens serait déployé parallèlement à l’École nationale de la marine marchande de Hinda. « La circulation du capital humain est décisive pour consolider notre stratégie sud-sud », rappelle l’ambassadrice Suàrez, évoquant un futur accord de reconnaissance mutuelle des brevets STCW afin de fluidifier les embarquements.
Une convergence d’intérêts géopolitiques
Pour Brazzaville, disposer d’une flotte propre réduit l’exposition aux surcharges de fret et aux ruptures d’approvisionnement, tout en renforçant son poids dans les négociations commerciales régionales. Pour Caracas, le projet ouvre un débouché diplomatique hors du bassin caribéen, accroît la visibilité internationale de ses chantiers navals et participe à une stratégie de contournement des contraintes logistiques imposées par la distance. Les deux capitales partagent, en outre, une approche multilatérale : inscription des futurs navires sous pavillon congolais compatible avec les normes de l’Organisation maritime internationale, et engagement conjoint dans les objectifs de réduction des émissions de soufre (IMO 2020).
De la commission mixte aux mises à l’eau
Instituée en mars 2023, la première commission mixte Congo-Venezuela a prescrit un calendrier resserré : études de faisabilité avant la fin de l’année, recherche de co-financements auprès de la Banque de développement d’Amérique latine et du Fonds OPEP, puis lancement d’une joint-venture de droit congolais. À court terme, trois navires polyvalents de 12 000 tonnes pourraient desservir la ligne Pointe-Noire-Cabinda-Luanda, prélude à des dessertes fluviales sur le Kouilou. Les négociateurs veillent toutefois à insérer des clauses de contenu local afin de dynamiser les chantiers de réparation navale de Djéno et de favoriser l’éclosion d’emplois qualifiés.
Perspectives et prudence raisonnée
La matérialisation d’une flotte marchande congolaise à vocation régionale est désormais une hypothèse crédible, soutenue par des convergences politiques et économiques palpables. Le pari reste conditionné à la stabilité des financements et à la capacité de gouvernance des deux États, notamment en matière de régulation portuaire et de transparence contractuelle. En misant sur l’expertise sud-sud plutôt que sur de coûteuses prestations venues du Nord, Brazzaville et Caracas entendent démontrer que la coopération horizontale peut se traduire en coques d’acier et en emplois durables. La mer, en coulisse, pourrait ainsi écrire un nouveau chapitre de la relation Congo-Venezuela, au service d’une diversification économique vantée de part et d’autre comme levier d’indépendance stratégique.