Une rentrée littéraire très attendue
Le 22 août prochain, les tables des libraires parisiens accueilleront « Ramès de Paris », nouveau roman d’Alain Mabanckou publié au Seuil. L’annonce fait bruisser le microcosme éditorial depuis plusieurs semaines : quatre ans se sont écoulés depuis « Le Commerce des allongés », et la curiosité est à son comble autour de cette voix majeure des lettres francophones. Né à Pointe-Noire en 1966, l’auteur – traduit dans plus de vingt langues et professeur à l’Université de Californie-Los Angeles – bénéficie d’un capital symbolique qui dépasse les frontières du champ littéraire. Chaque parution de Mabanckou se double d’un événement diplomatique feutré, tant son aura contribue à la visibilité internationale du Congo-Brazzaville.
Le protagoniste et la satire de l’exil
Dans ce nouveau texte, le lecteur suit Berado, aspirant écrivain qui se fait appeler « prince de Zamunda », venu rejoindre à Paris son frère Benoît, figure haute en couleur du quartier Château-Rouge. Les péripéties sentimentales de Benoît, son mariage éclair avec la mystérieuse Lilwenn et l’irruption de la restauratrice Mushama constituent le canevas d’une intrigue où réalité et fantasme s’entrelacent. La narration, confiée à Berado et sans cesse relancée dans le salon tamisé du Salam Hôtel par un barman nommé Ramsès, hésite entre confidences fiévreuses et fables nocturnes. Le procédé rappelle l’art poétique de « Verre cassé », mais se teinte ici d’un burlesque plus mélancolique : l’exil, traité sur le mode de la comédie, n’en laisse pas moins affleurer une réflexion sur la fragmentation identitaire.
Confluences Paris-Pointe-Noire
Le roman s’inscrit dans la topographie mentale de Mabanckou : Paris et Pointe-Noire forment un diptyque affectif où les ruelles de Château-Rouge se répondent aux avenues sablonneuses du quartier Tié-Tié. Cette géographie diachronique, traversée par la mémoire coloniale et les circulations contemporaines des diasporas, sert de décor à une galerie de personnages comparés par l’auteur à des « Pieds nickelés tropicaux ». Derrière la truculence, se lit une sociologie de la migration : ces figures oscillent entre désir d’intégration, stratégies de survie et quête d’un ancrage symbolique. L’humour est le filtre par lequel elles conjurent la précarité et négocient leur place dans la capitale française.
Résonances diplomatiques et soft power
Pour les analystes des relations internationales, la portée de « Ramès de Paris » dépasse la simple sphère esthétique. Dans un contexte où les États façonnent leur influence par la culture, le Congo-Brazzaville mise depuis plusieurs années sur la diplomatie des arts et des idées. L’élection de Mabanckou à la chaire de création artistique au Collège de France en 2016, ou sa participation régulière à des forums sur le plurilinguisme, illustrent le rôle d’ambassadeur officieux qu’il endosse. « La littérature offre un corridor où l’imaginaire précède parfois l’action politique », confiait récemment l’écrivain lors d’un entretien radiophonique, rappelant que l’art peut précéder et accompagner les rapprochements bilatéraux.
Perspectives pour la littérature congolaise
« Ramès de Paris » s’ajoute à une constellation d’œuvres qui, depuis « Mémoires de porc-épic » (prix Renaudot 2006), ont consolidé la réputation des lettres congolaises. La publication coïncide par ailleurs avec la montée en puissance d’une nouvelle génération d’auteurs, souvent issus du numérique, qui considèrent Mabanckou comme un passeur. L’écrivain l’a lui-même reconnu : « Le succès individuel n’a de sens que s’il ouvre un chemin collectif ». L’engouement critique attendu pourrait donc se répercuter sur les tirages de maisons d’édition locales, tout en stimulant les industries créatives, secteur identifié par les autorités comme vecteur de diversification économique.
À l’heure où les chancelleries s’intéressent de près aux leviers de cohésion sociale et à la diplomatie culturelle, la sortie de « Ramès de Paris » offre un cas d’école. Roman jubilatoire, il éclaire, sous le couvert de la fiction, les défis et les potentialités d’une diaspora qui continue de nourrir les deux rives de l’Atlantique. En filigrane, il rappelle qu’une nation se raconte aussi par la voix de ses écrivains, et qu’un livre peut devenir, le temps d’un automne littéraire, un acteur discret du dialogue entre les peuples.