Jacob Zuma et Rabat : la géopolitique d’un signe

Un tête-à-tête relancé sous le signe du réalisme

Le passage de Jacob Zuma à Rabat, sept ans après le discret face-à-face qu’il avait eu avec le Roi Mohammed VI en marge du sommet Union africaine–Union européenne d’Abidjan, rappelle qu’en diplomatie le temps long se prête aux recompositions silencieuses. L’ancien chef d’État sud-africain, aujourd’hui leader du mouvement Umkhonto weSizwe, affirme vouloir « tourner la page des incompréhensions » et redonner souffle à une relation restée longtemps prisonnière de positionnements idéologiques forgés à l’ère de la guerre froide. Ses entretiens avec le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, ont jeté les bases d’un agenda pragmatique où la coopération sécuritaire, la formation militaire et la transition énergétique figurent en bonne place.

Le rappel de Mandela : capital symbolique et stratégies d’influence

En soulignant que Nelson Mandela séjourna à Oujda en 1962 pour y parfaire son entraînement, Jacob Zuma use d’un registre mémoriel puissant. Cette évocation n’est pas qu’une anecdote : elle confère au Maroc un statut de soutien historique au combat anti-Apartheid, statut que Rabat s’emploie aujourd’hui à traduire en dividendes diplomatiques. Pour Pretoria, la référence à Mandela sert de passerelle entre héritage révolutionnaire et impératifs économiques contemporains, en particulier la recherche de nouveaux débouchés dans le Maghreb et en Europe via les corridors logistiques marocains.

Un document programmatique qui redessine les convergences

Le mémorandum intitulé « Un partenariat stratégique pour l’unité africaine, l’émancipation économique et l’intégrité territoriale » présenté par le parti MK n’est pas qu’un texte partisan. Il constitue une matrice de coopération Sud-Sud où l’accent est mis sur la circulation des capitaux, des compétences et des technologies, loin des postures doctrinales d’antan. Dans ce cadre, la perspective de co-investissements dans les chaînes de valeur automobiles et la valorisation commune des phosphates marocains pour l’industrie sud-africaine des engrais témoignent d’un réalisme économique assumé.

Effets d’entraînement sur l’architecture continentale

La redéfinition de l’axe Pretoria–Rabat intervient dans un contexte d’intenses tractations sur la Zone de libre-échange continentale africaine. Elle ouvre la voie à une convergence Nord–Sud susceptible de fluidifier les négociations tarifaires et les normes d’origine, thématiques suivies avec attention à Brazzaville, siège de plusieurs institutions régionales. En parallèle, la question sécuritaire, amplifiée par l’instabilité du Sahel, encourage la mise en réseau des services de renseignement, un domaine où le Congo-Brazzaville, acteur discret mais écouté, pourrait jouer un rôle de médiation technique.

La position de Brazzaville : entre observation et facilitation

Si la capitale congolaise a abrité l’annonce initiale de la visite, c’est qu’elle incarne une plateforme diplomatique réputée pour sa neutralité constructive. Les autorités congolaises, soucieuses de consolider la stabilité régionale, voient d’un œil favorable la décrispation entre Rabat et Pretoria. Dans l’entourage du président Denis Sassou Nguesso, l’on rappelle que toute dynamique de coopération triangulaire qui favorise les infrastructures continentales cadre avec la Vision 2025 de diversification économique du Congo, notamment le projet de corridor atlantique reliant Pointe-Noire à l’Afrique australe.

Vers un modèle d’excellence africaine partagé

Au-delà de la dimension bilatérale, l’initiative porte l’espoir d’un récit africain affranchi des tutelles narratives extérieures. Jacob Zuma insiste sur « l’excellence africaine » comme horizon stratégique : une diplomatie où la concurrence n’annule pas la solidarité, mais la canalise vers l’innovation et la sécurité climatique. Cette ambition devra composer avec les réalités politiques internes des deux pays, des impératifs budgétaires et des attentes sociales parfois contrastées. Cependant, les signaux envoyés depuis Rabat indiquent qu’un espace de dialogue durable est désormais ouvert, susceptible d’irriguer l’ensemble du continent.

Perspectives et enjeux à moyen terme

La prochaine étape, selon des sources proches du ministère marocain des Affaires étrangères, serait la mise sur pied d’une commission mixte de haut niveau avant la fin de l’année. Celle-ci plancherait sur des projets concrets : bourses universitaires croisées, exercices militaires conjoints dans le domaine de la cybersécurité, ou encore mutualisation des expertises en gestion de l’eau. Autant de dossiers que les chancelleries, notamment celle de Brazzaville, suivront avec attention, conscientes que la stabilité de la façade atlantique dépend désormais de ce nouveau partenariat afro-nord-sud-africain.