CAP : la relève technique congolaise se teste

Un rendez-vous académique chargé de symboles

Dans la torpeur sèche de mi-juillet, le Lycée technique industriel du 1er-Mai a retrouvé l’effervescence des grands jours : 94 apprentis de Brazzaville, rejoints par 35 pairs de Pointe-Noire, ont ouvert le bal des épreuves du Certificat d’aptitude professionnelle. Trois années d’apprentissage rigoureux se condensent soudain dans les ateliers de mécanique automobile, de froid et climatisation ou d’électricité industrielle. La scène, ordinaire en apparence, possède une résonance nationale : elle incarne la transition d’une économie longtemps centrée sur les hydrocarbures vers un tissu productif diversifié, porté par le capital humain.

« Votre réussite édifiera les fondations de notre avenir industriel », a lancé le directeur de cabinet du ministre de l’Enseignement technique et professionnel, Mamadou Kanté, ouvrant la session devant des visages partagés entre concentration et fierté. Au-delà de la formule protocolaire, l’allocution traduisait l’importance stratégique que Brazzaville accorde désormais aux filières techniques, perçues comme des gisements d’emplois pérennes et de valeurs ajoutées locales.

Le CAP, maillon d’une architecture pédagogique rénovée

Inscrit parmi seize examens et concours pilotés chaque année par le ministère, le CAP se distingue par son orientation vers la pratique et par sa reconnaissance immédiate sur le marché du travail. En se positionnant comme équivalent du Brevet d’études techniques, il assure aux lauréats un socle de compétences opérationnelles que les entreprises réclament avec insistance, notamment dans les chantiers d’infrastructures et les services de maintenance industrielle.

La réforme curriculaire engagée depuis 2019 a renforcé la composante technologique : les modules de diagnostic électronique sur véhicules, de gestion énergétique et de sécurité au travail se sont ajoutés aux fondamentaux. Ce saut qualitatif répond aux standards d’évaluation de l’Organisation africaine de la normalisation, gage de mobilité professionnelle dans la sous-région.

Des effectifs modestes mais stratégiques

Cent vingt-neuf candidats peuvent sembler une goutte d’eau face aux 60 000 diplômés généraux attendus cette année ; le ratio illustre pourtant la spécialisation pointue qu’exige l’industrie naissante. Les experts du Centre de recherche en sociologie du travail rappellent qu’un technicien de maintenance qualifié peut générer jusqu’à quinze emplois induits dans les chaînes de sous-traitance.

Le Centre de formation professionnelle Don Bosco joue ici un rôle de tête de pont. Ses plateaux techniques, cofinancés par la coopération italienne, accueillent chaque promotion avec des équipements alignés sur les normes ISO. Cette articulation public-privé signe une gouvernance pragmatique, saluée par le patronat congolais qui voit dans le CAP une amorce de réponse à la pénurie chronique de main-d’œuvre intermédiaire.

Un calendrier institutionnel cadencé

À peine les copies rendues, l’agenda ministériel se poursuit : dès le 5 août, les concours d’accès aux établissements techniques prendront le relais, prolongeant l’élan suscité par le CAP. L’Institut polytechnique de Kintélé, l’Institut professionnel et technologique d’Oyo ou encore l’École congolaise d’optique s’apprêtent à accueillir la nouvelle vague d’apprenants. Pour Armand Roch Placide Bokangué, directeur des examens et concours, cette progression séquencée consolide « un continuum de formation qui va du certificat jusqu’au diplôme d’ingénieur appliqué ».

Le dispositif bénéficie d’un encadrement réglementaire renforcé : la loi d’orientation sur l’enseignement technique, adoptée en 2022, instaure un conseil national de certification chargé d’aligner les référentiels sur les besoins sectoriels. Cette interaction permanente avec les fédérations industrielles limite l’obsolescence des programmes et crédibilise les diplômes auprès des investisseurs.

Conjuguer impératifs économiques et cohésion sociale

Dans un pays où près de 60 % de la population a moins de 25 ans, la formation professionnelle assume aussi une dimension de stabilisation. Les économistes rappellent qu’un point de chômage juvénile en moins réduit sensiblement la pression sur les dépenses sociales et sur la migration intra-régionale. Les autorités, conscientes de cet enjeu, ont inscrit le financement des centres d’apprentissage au titre III du budget 2024, garantissant la pérennité des équipements et la rémunération des formateurs.

Les partenaires techniques, qu’il s’agisse du Programme des Nations unies pour le développement ou de l’Agence française de développement, soulignent la pertinence d’une approche « dualiste » alliant temps académique et immersion en entreprise. Les premiers retours d’évaluation montrent une insertion de 78 % des diplômés dans les six mois suivant l’obtention du CAP, un taux supérieur à la moyenne régionale.

Une main-d’œuvre qualifiée pour la diversification économique

Alors que les cours du pétrole demeurent fluctuants, la diversification vers la transformation agroalimentaire, la maintenance pétrochimique ou les énergies renouvelables nécessite des compétences techniques pointues. Les 129 candidats de la session 2023 incarnent cette projection vers une économie de savoir-faire et de production locale, encouragée par les hautes autorités.

Si la tâche reste immense, la dynamique enclenchée depuis cinq ans laisse entrevoir un cercle vertueux : politiques publiques stables, partenariats internationaux ciblés, et surtout mobilisation d’une jeunesse volontaire. Dans l’atelier où crépitent encore les étincelles des postes à souder, un candidat résume la philosophie collective : « Nous apprenons pour bâtir ici, pas pour partir ailleurs ». En cette phrase se lit l’ambition d’un Congo tourné vers l’avenir, confiant dans la valeur de son capital humain et dans la capacité de ses institutions à le faire fructifier.