Un climat social sous haute vigilance
Depuis le début de l’année, l’espace public congolais est traversé par des discussions intenses autour du pouvoir d’achat, du coût des services et des perspectives d’emploi pour la jeunesse. Dans un tel contexte, les services chargés de l’ordre public redoublent de vigilance afin de prévenir toute dérive susceptible d’atteindre la stabilité des institutions, priorité réaffirmée par les autorités lors du dernier conseil de cabinet. Plusieurs acteurs de la société civile, tout en reconnaissant cette mission régalienne, appellent à un strict respect des garanties prévues par la Constitution et la loi.
Crépuscule d’une interpellation controversée
Le 9 juillet 2025, peu avant vingt heures, Me Bob Kaben Massouka quitte son cabinet situé non loin du palais de justice. Selon sa famille, il n’atteindra jamais son domicile: des agents de la Centrale d’intelligence et de documentation procèdent à son interpellation et le placent en garde-à-vue. Officiellement, aucune communication n’a encore établi le fondement juridique de cette mesure, mais des sources concordantes évoquent la possible implication de l’avocat dans l’encadrement de jeunes souhaitant exprimer, le lendemain, leur mécontentement socio-économique.
Un magistrat proche du parquet général confie que l’enquête «suit son cours dans le respect des règles de procédure», ajoutant que la confidentialité est indispensable «lorsqu’il s’agit de prévenir des troubles à l’ordre public». De leur côté, les proches de l’avocat affirment n’avoir été avisés qu’au lendemain des faits, d’où leur emploi du terme «enlèvement», chargé d’émotion plus que de qualification juridique.
Le Barreau suspend ses audiences
Dès le 10 juillet au matin, le barreau de Brazzaville convoque une assemblée générale extraordinaire sous la houlette de Me Brigitte Nzingoula. «Nous n’exigeons rien d’autre que l’application scrupuleuse de la loi, laquelle prévoit la présence du bâtonnier ou du procureur général lors de l’arrestation d’un avocat», déclare-t-elle à la sortie de la réunion. Le mot d’ordre est clair : retrait immédiat des robes jusqu’à clarification de la situation. Le barreau de Pointe-Noire emboîte le pas le 11 juillet, créant un effet domino qui ralentit l’activité judiciaire dans les principales juridictions du pays.
Pour les justiciables, cette mise entre parenthèses des audiences engendre reports et incertitudes. Un greffier rencontré devant la cour d’appel admet que «la chaîne pénale tourne au ralenti», mais souligne «la nécessité pour toutes les parties de retrouver confiance dans la procédure».
Garantie professionnelle et cadre légal
La loi portant organisation de la profession d’avocat prévoit que les officiers de police judiciaire informent le bâtonnier avant toute mesure privative de liberté visant un membre du barreau. Ce formalisme, largement inspiré du principe de la défense inviolable, vise à préserver l’indépendance de la profession tout en permettant aux services d’enquête de travailler. Des universitaires rappellent que la Cour constitutionnelle, dans un avis de 2019, a reconnu la conciliation possible entre secret d’instruction et droits de la défense, pourvu que la notification au bâtonnier intervienne «sans délai excessif».
Dans le cas d’espèce, l’absence d’information immédiate semble constituer le nœud du contentieux. Toutefois, plusieurs analystes estiment qu’une régularisation a posteriori, assortie d’une audition du bâtonnier, pourrait suffire à lever la tension, l’infraction reprochée n’ayant pas encore été qualifiée.
Voies de médiation et réponse institutionnelle
Les ministères de l’Intérieur et de la Justice, régulièrement interpellés par la presse, renvoient à la communication officielle qui sera rendue dès la clôture de la première phase d’investigation. Un haut fonctionnaire assure que «le gouvernement demeure ouvert au dialogue avec les instances professionnelles», rappelant les rencontres périodiques entre le garde des Sceaux et le Conseil de l’ordre.
Parallèlement, des organisations de défense des droits humains plaident pour une désescalade rapide. Joe Washington Ebina, à la tête d’une plateforme citoyenne, invite les protagonistes «à privilégier les passerelles institutionnelles existantes plutôt qu’une confrontation de principe». Un médiateur officieux évoque déjà la possibilité d’une libération conditionnelle du conseil, en attendant que la procédure de fond suive son cours.
Un test pour l’équilibre des pouvoirs
Au-delà du cas individuel de Me Massouka, l’épisode interroge sur la robustesse des mécanismes de protection des libertés publiques et sur la capacité des institutions à dialoguer dans un contexte de crispation sociale. Les spécialistes de sociologie politique soulignent que la consolidation de l’État de droit passe autant par le respect des formes que par la qualité de l’interaction entre acteurs étatiques et corps intermédiaires. Le barreau, institution historique et partenaire de la puissance publique, joue ici son rôle d’aiguillon, tandis que l’exécutif entend préserver la cohésion nationale.
La sortie de crise, que beaucoup espèrent imminente, pourrait prendre la forme d’un rappel solennel aux textes régissant la profession d’avocat, assorti d’engagements réciproques pour fluidifier la circulation de l’information entre services de sécurité et ordres professionnels. Une telle option conforterait l’image d’un pays capable de résoudre ses différends dans le cadre normatif qu’il s’est librement donné, perspective saluée par les partenaires diplomatiques soucieux de stabilité et de prévisibilité.