Un contexte énergétique en mutation
Au cœur de l’Afrique centrale, le secteur congolais de l’électricité évolue dans un paysage contrasté : d’un côté un potentiel hydroélectrique et gazier important, de l’autre une demande urbaine en hausse rapide, exacerbée par l’urbanisation et l’industrialisation de la façade atlantique. Depuis plusieurs années, la puissance publique s’emploie à réduire les écarts entre capacité installée et besoins réels. La création de la Société Énergie électrique du Congo (E2C) en 2018, la révision du code de l’électricité et la mise en place d’un régulateur indépendant ont jalonné cette trajectoire réformatrice. Pourtant, les délestages récurrents rappellent que la bataille de la fiabilité demeure ouverte, surtout à Brazzaville et Pointe-Noire où se concentre près de 70 % de la consommation.
Genèse et architecture du PASEL
C’est dans cet environnement que le Projet d’amélioration des services d’électricité a été négocié et assemblé en un temps record de douze mois, selon le représentant résident de la Banque mondiale à Brazzaville. Doté de 100 millions de dollars, soit environ 11 % du portefeuille actif de l’institution multilatérale dans le pays, le PASEL s’articule autour de trois piliers. Le premier cible le réseau de transport afin de sécuriser l’axe à haute tension Pointe-Noire–Brazzaville, dorsale énergétique et artère logistique pour l’économie nationale. Le deuxième pilier concerne la distribution et la vente au détail : il vise la réduction des pertes non techniques, évaluées à plus de 30 % des volumes injectés, en combinant pose de compteurs communicants et réorganisation commerciale d’E2C. Le troisième pilier, enfin, porte la planification de long terme : élaboration d’une Stratégie d’électrification nationale et d’un Plan de développement à moindre coût, instruments jugés cruciaux pour atteindre l’accès universel à l’horizon 2035.
Renforcer la dorsale Pointe-Noire–Brazzaville
Le corridor de 510 kilomètres qui relie la capitale économique à la capitale politique concentre actuellement la quasi-totalité des flux d’énergie d’origine thermique et hydroélectrique. Les travaux prévus comprennent le remplacement de câbles vieillissants, l’installation de systèmes de télé-conduite numérisés et la fourniture de six transformateurs haute tension. D’après Jie Tang, directeur sectoriel pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à la Banque mondiale, « ces équipements accroîtront la capacité de transit tout en réduisant les temps de coupure, élément essentiel pour la compétitivité industrielle et le confort des ménages ». Les études d’impact environnemental ont confirmé la viabilité des tronçons traversant la cuvette congolaise, terrain sensible aux inondations saisonnières.
De la performance technique à la viabilité financière
Au-delà du cuivre et du béton, le PASEL s’attaque à la question souvent éludée de la soutenabilité économique. Les pertes non techniques, constituées de fraudes et d’erreurs de facturation, pèsent lourdement sur les résultats d’E2C. Le déploiement de compteurs intelligents, accompagné d’une plateforme de gestion intégrée, ambitionne de ramener ces pertes sous le seuil des 15 % avant fin 2028. Le ministre de l’Énergie et de l’Hydraulique, Emile Ouosso, insiste sur la dimension collective de l’enjeu : « La qualité du service dépendra de notre capacité à respecter la chaîne de paiement, de la centrale jusqu’au consommateur ». Cette approche partenariale inclut un programme de sensibilisation communautaire afin de renforcer l’acceptabilité sociale de la facturation au réel.
Incidences socio-économiques attendues
En améliorant la stabilité de l’alimentation, les autorités congolaises entendent stimuler la création de valeur dans les secteurs manufacturiers, agro-industriels et numériques. Selon les simulations de la Direction générale de l’économie, une réduction de 10 heures mensuelles des interruptions pourrait accroître le produit intérieur brut de 0,4 point. Par ailleurs, l’électrification des zones périurbaines, facilitée par des mini-réseaux adossés au PASEL, offrira de nouvelles perspectives pour l’emploi local, en particulier dans les services de maintenance et de micro-entrepreneuriat. Le Pacte énergétique national, adossé à l’initiative présidentielle M300, table sur un triplement des connexions domestiques en milieu rural à l’horizon 2030.
Défis d’exécution et mécanismes de résilience
Les partenaires techniques ne sous-estiment pas les risques liés à la volatilité des cours des matières premières, à la chaîne logistique internationale ou encore au déficit de compétences spécialisées. Pour y répondre, un dispositif de suivi-évaluation trimestriel a été mis en place, couplé à un mécanisme de passation de marché aligné sur les standards de la Banque mondiale. La formation de 400 techniciens, en partenariat avec l’Institut supérieur d’ingénierie appliquée de Pointe-Noire, doit également consolider la résilience opérationnelle du projet.
Vers une intégration énergétique régionale
À moyen terme, la modernisation du segment de transport permettra de faciliter les échanges transfrontaliers d’électricité, notamment avec la République démocratique du Congo et le Gabon, dans le cadre du Pool énergétique d’Afrique centrale. En plaçant le réseau congolais au niveau des standards internationaux, le PASEL ouvre la voie à une interconnexion accrue et à la valorisation de surplus hydroélectriques, tout en renforçant la position géostratégique de Brazzaville sur le marché régional.
Cap sur une gouvernance éclairée
À l’issue de la cérémonie de lancement, le ministre Emile Ouosso a rappelé que « le succès du PASEL sera jugé à l’aune de notre aptitude à conjuguer rigueur managériale, transparence tarifaire et inclusion sociale ». La déclaration résonne comme un appel à mobiliser toutes les parties prenantes, des bailleurs internationaux aux usagers, pour transformer la promesse de lumière continue en réalité quotidienne. Signe d’une gouvernance qui se veut désormais plus ouverte, un tableau de bord public répertoriant l’avancement des chantiers sera actualisé chaque mois, matérialisant une volonté de redevabilité saluée par les observateurs.