Telema, l’atelier où les idées deviennent devises

Aux origines d’une ambition entrepreneuriale

En cette matinée moite de juillet, le hall contemporain de la Fondation Telema résonnait d’une effervescence contenue. Sous les moulures d’un bâtiment qui mêle design et symboles panafricains, vingt-six jeunes femmes et hommes, sélectionnés parmi plus d’un millier de candidats, prenaient place pour un rituel devenu un jalon de la vie économique brazzavilloise : l’ouverture de la quatrième cohorte d’incubation de la Fondation Telema pour l’entrepreneuriat des jeunes. « Vous voilà désormais membres d’une communauté où l’audace se conjugue avec la rigueur », a ciselé Jesse Franck Goma, secrétaire général de la fondation, en rappelant le taux d’admission de moins de 3 %. Au-delà de la solennité, la scène traduisait un phénomène plus large : la normalisation de l’entrepreneuriat comme vecteur de promotion sociale et comme bras armé de la diversification économique voulue par les autorités congolaises.

Incubation Telema : une pédagogie expérientielle

Durant trois semaines, les incubés se familiariseront avec un corpus qui mêle ingénierie de projet, gouvernance financière, management interculturel et développement personnel. La charte de l’incubé, document quasi-contractuel, insiste sur la discipline quotidienne, l’éthique des affaires et la logique de résultats. Loin d’un simple transfert de savoirs théoriques, les formateurs privilégient l’apprentissage par la pratique : études de cas locales, prototypage en atelier et simulations de tables rondes d’investisseurs. Cette pédagogie expérientielle, inspirée des business schools internationales mais contextualisée aux réalités congolaises, vise à armer les porteurs de projets face aux défis d’un marché encore marqué par la dépendance aux matières premières et par une culture administrative exigeante.

Le parcours s’achèvera par la soutenance d’un rapport d’avancement, exercice stratégique qui conditionnera l’accès à un financement pouvant atteindre quatre millions de francs CFA. À ce jour, la fondation revendique plus de cent millions de francs octroyés à trente-trois entrepreneurs, avec un taux de survie des entreprises supérieur à 70 % après deux ans, un indicateur honorable dans l’espace CEMAC.

Jeunesse congolaise et pari de l’auto-emploi

Selon les estimations du ministère en charge des Petites et moyennes entreprises, près de 60 % de la population congolaise a moins de trente-cinq ans. Sur ce socle démographique se joue une équation centrale : transformer le potentiel numérique et créatif d’une génération connectée en véritables relais de croissance. « L’emploi salarié classique ne pourra absorber toute la vague de nouveaux entrants sur le marché du travail ; l’entrepreneuriat devient une nécessité sociétale », note la sociologue Mireille Massamba, qui accompagne le programme Telema comme consultante indépendante.

Le gouvernement, conscient de l’impératif, multiplie depuis 2018 les instruments de soutien : guichet unique de création d’entreprise, exonérations ciblées et fonds de garantie. La Fondation Telema, entité privée mais agissant en étroite complémentarité avec ces politiques publiques, s’inscrit dans ce continuum d’initiatives visant à favoriser l’auto-emploi, tout en diffusant une culture de la performance et de la transparence.

Un écosystème en consolidation

Autour du programme d’incubation gravitent désormais des avocats d’affaires, des structures de micro-finance et des firmes internationales en quête de sous-traitants locaux. Les alumni des trois premières cohortes jouent un rôle de mentors informels, créant un capital social précieux pour les nouveaux venus. L’on assiste ainsi à l’émergence progressive d’un écosystème où la densité des réseaux importe autant que l’injection de capitaux.

Cette dynamique reste néanmoins tributaire de certaines fragilités structurelles, qu’il s’agisse de l’accès à la fibre optique hors des centres urbains ou des coûts logistiques imputables à une topographie exigeante. Les organisateurs n’éludent pas ces contraintes mais préfèrent les considérer comme des opportunités d’innovation frugale, perspective que partagent nombre d’observateurs du développement durable.

Perspectives régionales et impact sociétal

Les ambitions de Telema débordent désormais les frontières nationales. Des discussions sont engagées avec des hubs de Libreville et de Kinshasa afin de mutualiser les formations et d’ouvrir des relais de marché pour les jeunes pousses congolaises. Cette projection régionale répond au besoin d’élargir la taille critique des débouchés mais aussi de positionner le Congo-Brazzaville comme un pôle d’innovation crédible au sein de la CEEAC.

Au-delà des indicateurs macro-financiers, l’incubation porte des externalités sociales notables : insertion professionnelle des femmes diplômées, formalisation de micro-unités informelles et participation accrue des jeunes à la vie économique locale. En inscrivant la culture entrepreneuriale dans un récit collectif valorisé par les pouvoirs publics, la Fondation Telema contribue à façonner une citoyenneté économique responsable, condition sine qua non d’une croissance inclusive et résiliente.