Le MAEP au Congo : coulisses d’une introspection

Un mécanisme africain au service de l’autoréflexion

Forgé en 2003 sous l’impulsion du NEPAD, le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) s’impose comme un dispositif inédit d’auto-régulation des politiques publiques sur le continent. Promouvant la bonne gouvernance, il invite chaque État membre à se soumettre volontairement à l’examen de ses pairs, afin de mesurer l’effectivité de ses engagements démocratiques, économiques et sociaux.

Le Congo-Brazzaville, signataire cette même année, y a vu un levier de crédibilité et une passerelle vers l’intégration régionale. Vingt ans plus tard, la constitution d’une Commission nationale d’auto-évaluation ouvre, à Brazzaville, une phase de capitalisation des acquis tout en ancrant le processus dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine.

Brazzaville met ses cadres à niveau

Le 18 juillet, dans la salle feutrée du ministère des Affaires étrangères, les membres de ladite commission se sont penchés, sous la houlette d’Alain Akouala, sur les arcanes méthodologiques du MAEP. Cette séance didactique a notamment revisité les indicateurs relatifs à la participation citoyenne, à la gestion macroéconomique et à la transparence institutionnelle, autant de variables que l’auto-diagnostic devra objectiver selon les standards continentaux.

« Il ne s’agit pas d’un audit sanction, mais d’un miroir exigeant », a souligné M. Akouala, insistant sur la culture de la preuve et la collecte de données probantes que réclame l’exercice. Satisfait, le premier vice-président Édouard Lonongo a salué une étape de « clarification des mandats et des chaînes de responsabilité », propice à l’harmonisation des méthodologies sectorielles.

Des défis logistiques à la hauteur des ambitions

En filigrane, le séminaire a mis en lumière des contraintes matérielles : absence d’un secrétariat technique permanent, besoin en outils statistiques et en programmes de renforcement de capacité. Selon l’économiste Félicité Obili, « la sophistication des matrices du MAEP exige une logistique que peu d’administrations africaines maîtrisent encore », d’où l’urgence d’une dotation budgétaire pérenne.

Pour le ministère des Finances, représenté par un cadre, l’effort budgétaire est pourtant perçu comme un investissement reputational destiné à attirer des partenariats structurants. Le gouvernement entend donc conjuguer rigueur financière et pragmatisme dans la mobilisation de ressources internes et externes.

Vers la signature d’un protocole d’entente décisif

Annoncée pour le second semestre, la signature d’un protocole d’entente avec le Secrétariat continental du MAEP revêt une valeur juridique. Elle définira le cadre opérationnel, l’échéancier des revues nationales et le rôle des acteurs non étatiques. Pour la juriste Léa Pambou, ce texte « formalise une corégulation novatrice où la société civile et l’État négocient un espace de confiance mutuelle ».

Une fois ratifié, le document facilitera la venue de la mission d’examen préliminaire et ouvrira la voie à la rédaction d’un Rapport d’auto-évaluation national. Celui-ci devrait faire l’objet d’un débat public puis être adopté par le Forum des chefs d’État du MAEP, étape réputée décisive pour l’ancrage d’une gouvernance vertueuse.

Une dynamique portée par la vision présidentielle

Dans son discours sur l’état de la Nation de décembre dernier, le président Denis Sassou Nguesso a évoqué « la nécessité de moderniser les mécanismes de gouvernance afin d’anticiper les mutations mondiales ». Le pilotage conjoint du MAEP par la présidence, la Primature et la commission traduit ce cap stratégique et conforte la doctrine d’un État promoteur d’une croissance inclusive.

De fait, la politique des « Trois P » – Paix, Progrès, Partage – chère au chef de l’État se voit consolidée par l’auto-évaluation, perçue comme un instrument d’alignement entre objectifs domestiques et standards africains. Elle s’inscrit dans la continuité des réformes budgétaires et de la stratégie de diversification économique actuellement saluées par plusieurs partenaires techniques.

Perspectives régionales et impact socio-politique

Au-delà des frontières congolaises, l’avancement du processus est scruté par la Communauté économique des États d’Afrique centrale qui y voit un signal positif pour l’harmonisation réglementaire et la facilitation des investissements. D’après le diplomate camerounais Patrick Mbala, « l’appropriation du MAEP par Brazzaville pourrait entraîner un effet d’entraînement sur les États encore en voie d’adhésion ».

Si l’on en croit le rapport 2023 du MAEP, les pays ayant achevé leur premier cycle d’évaluation ont enregistré, en moyenne, un point de croissance supplémentaire lié au renforcement de la confiance des marchés. Les retombées attendues pour le Congo touchent ainsi la perception du risque, l’accès aux financements verts et la consolidation du tissu entrepreneurial local.

La société civile, partenaire critique et constructif

Le tissu associatif congolais, mobilisé autour des droits humains et de l’environnement, se prépare à participer aux consultations. L’universitaire Arsène Ndinga rappelle que « la crédibilité de l’exercice dépendra de la qualité du dialogue tripartite entre État, secteur privé et organisations de la société civile ». La commission entend donc instituer des plateformes d’échange régulières pour recueillir les observations et formuler des recommandations conjointes.

Cet écosystème de gouvernance partagée devrait catalyser une culture de redevabilité ascendante, réduisant l’asymétrie d’information entre administrés et décideurs. Il marque un jalon supplémentaire sur le chemin d’une démocratie de concertation, sans heurter les équilibres institutionnels.

Cap sur un avenir d’intégration renforcée

À l’heure où le continent façonne sa Zone de libre-échange, le MAEP apparaît comme une enceinte d’apprentissage mutuel, dont la dimension coopérative rejoint les ambitions intégratrices du Congo. Les autorités brazzavilloises, en érigeant le processus au rang de priorité stratégique, s’alignent sur le crédo « solutions africaines aux défis africains », gage de souveraineté concertée.

Le chronogramme ainsi esquissé par la commission laisse entrevoir, d’ici 2025, la présentation du premier rapport congolais et l’élaboration d’un plan d’action national. Pour les observateurs, la consolidation de ces étapes révélera le degré de maturité institutionnelle atteint par le pays et son aptitude à contribuer à la fabrication d’un multilatéralisme africain rénové.