Une mémoire diplomatique ancrée dans les années soixante
La littérature politique congolaise évoque rarement la poignée de main immortalisée en 1964 entre le président Alphonse Massamba-Débat et son homologue Gamal Abdel Nasser. Pourtant, ce cliché incarne la genèse d’un dialogue Sud-Sud qui, six décennies plus tard, conserve une étonnante vitalité. Héritière de la diplomatie nasserienne fondée sur le panarabisme et l’affirmation tiers-mondiste, l’Égypte a offert dès l’origine à Brazzaville un espace d’échange intellectuel et militaire, principalement via l’Institut du Caire pour le leadership africain de Nasr City. La constance de cet appui explique qu’aujourd’hui encore les officiers congolais de la 35e promotion saluent leur formation égyptienne comme « une école de rigueur et d’ouverture », selon les mots du lieutenant Jean-Robert Ndinga.
Formation et sécurité : un pilier consolidé
À l’occasion du 73e anniversaire de la Journée de la République arabe d’Égypte, l’ambassadrice Imane Yakout a rappelé que près de deux cents stagiaires congolais ont bénéficié ces cinq dernières années de sessions spécialisées en cyber-défense, gestion de crises et médecine militaire. Dans un contexte régional traversé par la menace terroriste venue du Sahel, cette coopération technique apparaît précieuse. Le ministre Jean Claude Gakosso souligne que « la mutualisation des expertises africaines renforce la doctrine de sécurité collective prônée par l’Union africaine ». Le Caire et Brazzaville partagent ici une approche pragmatique : renforcer les capacités internes plutôt qu’importer des dispositifs extérieurs coûteux.
Commerce et investissements : des flux encore modestes mais ciblés
Les chiffres du Conseil égyptien pour les exportations chimiques indiquent un volume bilatéral proche de 80 millions de dollars en 2023, principalement tiré par les engrais phosphatés et les matériels électromécaniques. Si ce montant demeure inférieur aux échanges congolais avec l’Asie, les diplomates des deux rives du Nil misent sur des projets à effet d’entraînement. La société Arab Contractors, déjà impliquée dans la modernisation de l’aéroport de Pointe-Noire, conduit une étude exploratoire pour la réhabilitation du corridor fluvial Kinshasa-Brazzaville, enjeu jugé « structurant pour l’intégration sous-régionale ». En sens inverse, la société publique Hydrocongo prospecte depuis 2022 le marché égyptien des bois certifiés, dans le sillage de la politique congolaise de transformation locale du teck et de l’aye.
Transition verte : convergence d’agendas climatiques
La tenue de la COP27 à Sharm el-Sheikh, puis du Sommet des trois bassins forestiers à Brazzaville un an plus tard, a mis en exergue la complémentarité des ambitions congolaises et égyptiennes. L’Égypte, engagée dans la diversification énergétique via la centrale nucléaire d’El-Dabaa et le parc solaire Benban, considère le massif forestier du bassin du Congo comme le second poumon de la planète. Le président Denis Sassou Nguesso, hôte du Fonds bleu pour le Bassin du Congo, a obtenu l’appui technique de l’Agence égyptienne de partenariat pour le développement afin d’élaborer un mécanisme commun de quantification des crédits carbone. Selon la climatologue Mona El-Mahdy, cette synergie « illustre la capacité de l’Afrique à proposer des instruments financiers crédibles au-delà du narratif de l’endettement ».
Culture et soft power : la diplomatie des savoirs
La bibliothèque d’Alexandrie a accueilli cette année une semaine dédiée aux littératures francophones d’Afrique centrale. Les œuvres de l’écrivain congolais Henri Lopes y ont été étudiées par des chercheurs arabophones, tandis que l’orchestre philharmonique de Brazzaville entonnera en novembre prochain des arrangements du compositeur Mohamed Abdel Wahab. Ces échanges illustrent la conviction partagée que la culture demeure un puissant vecteur d’influence douce, plus durable que les contrats commerciaux. L’implantation à Brazzaville d’un futur Centre égypto-congolais des études nilotiques et équatoriales, annoncée par Imane Yakout, devrait élargir le champ académique aux questions de gouvernance hydrique.
Perspectives régionales et rôle sur la scène internationale
Dans un environnement géopolitique fluide, Le Caire et Brazzaville tendent à synchroniser leurs positions au sein de l’Union africaine sur la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, le financement des opérations de paix et la gestion concertée des migrations climatiques. L’Égypte met en avant son expérience de médiateur, notamment dans le conflit israélo-palestinien, tandis que le Congo-Brazzaville, fort de sa diplomatie forestière, défend une vision inclusive de la sécurité humaine. La récente réunion ministérielle préparatoire au Sommet Arab-Africa 2025 a confirmé cette volonté de coordination, le chef de la diplomatie congolaise évoquant « un alignement réaliste de nos intérêts, loin des logiques de blocs ». Ce pragmatisme, allié à une solide mémoire historique, laisse augurer d’une coopération appelée à s’épaissir, fidèle à son fil conducteur : associer souveraineté nationale et interdépendance régionale.