Le retour d’un emblème culturel continental
À l’ombre majestueuse du fleuve Congo, le Festival panafricain de musique rouvre son rideau, six ans après son édition précédente, avec l’ambition de ressusciter ce qui fut, depuis 1996, l’une des rares tribunes africaines dédiées à l’expression sonore plurielle. Si le Covid-19 et les aléas budgétaires avaient suspendu le rendez-vous, l’édition 2024 s’annonce comme un signal de relance pour les acteurs culturels du continent, galvanisés par le thème « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique ». Au-delà de la dimension festive, les autorités congolaises considèrent cette séquence comme une vitrine de la diplomatie culturelle du pays, témoignant de la priorité accordée au secteur par le gouvernement.
Une scénographie portée par la compagnie Danse incolore
Le 12 juillet, dans la pénombre d’une salle de répétition du centre-ville, la compagnie Danse incolore a dévoilé une ébauche de la cérémonie d’ouverture. Sous la direction du chorégraphe franco-congolais Gervais Tomadiatunga, 211 artistes, sélectionnés parmi 300 candidats, ont fusionné rythmes traditionnels téké, percussions mandingues et pulsations électro urbaines. « Je voulais graver une signature chorégraphique qui fasse dialoguer Brazzaville et le monde », confie le maître de ballet, coutumier des scènes parisiennes. Sa partition, ciselée comme une fresque vivante, superpose rumba patrimoniale et pas contemporains, rappelant que dans la capitale congolaise, la mémoire se conjugue au futur.
L’industrie culturelle, vecteur de diversification économique
Début 2023, le portefeuille ministériel s’est élargi pour devenir « Industrie culturelle, touristique, artistique et des loisirs », évolution sémantique traduisant un virage stratégique. La ministre Marie-France Hélène Lydie Pongault insiste : « La culture ne sera plus seulement célébrée, elle sera valorisée ». Dans un pays engagé dans un programme de diversification post-pétrole, la monétisation de la création apparaît comme un levier crédible. D’après un rapport de la Banque africaine de développement, les industries créatives pourraient générer jusqu’à 1,5 % du PIB congolais à moyen terme si les efforts de structuration s’intensifient. Le Fespam, catalyseur de flux touristiques et de partenariats, sert de laboratoire grandeur nature pour tester ce modèle.
Numérique et patrimonialisation : des défis conjoints
La thématique de l’année met en lumière une dialectique complexe : comment embrasser la distribution dématérialisée sans diluer la valeur des artistes ? La question traverse les échanges entre producteurs invités et universitaires conviés aux tables rondes. Le sociologue Blaise Ndinga observe que « la révolution streaming bouscule les circuits traditionnels de revenus, mais offre aussi à des groupes locaux une audience inattendue de Johannesburg à Montréal ». Pour Brazzaville, l’enjeu réside dans l’édification d’un cadre de droits d’auteur adapté. Un projet de portail national d’archives sonores, annoncé pour 2025, promet de sauvegarder les masters de la rumba congolaise, récemment inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, tout en permettant une diffusion contrôlée sur les plateformes.
Financement et rémunération : vers une nouvelle donne
La question de la rémunération des artistes, évoquée avec franchise lors de la répétition générale, reflète un débat ancien. Si l’État a pris l’engagement de régler les cachets avant la première note, la problématique est structurelle : elle dépasse l’événementiel pour toucher à la chaîne de valeur tout entière. L’économiste culturaliste camerounais Stéphane Toko, invité du colloque scientifique du Fespam, rappelle que « les festivals africains pâtissent d’une dépendance excessive aux subventions publiques ». L’ouverture, en 2022, d’un fonds d’avance sur recettes, alimenté par des partenaires privés congolais et panafricains, constitue une innovation prometteuse. Testé cette année, il doit sécuriser 30 % du budget global du festival, réduisant la vulnérabilité de la manifestation et, corrélativement, des artistes.
Une diplomatie douce au rythme des tambours
Au-delà des chiffres, le Fespam s’inscrit dans la stratégie de rayonnement portée au plus haut niveau de l’État. La présence annoncée de délégations ministérielles d’une vingtaine de pays, celle de l’Union africaine et d’organismes de la Francophonie conforte Brazzaville dans son rôle de carrefour culturel. Les retombées symboliques d’une cérémonie d’ouverture aboutie sont scrutées : elles projettent une image de stabilité et de confiance, conditions sine qua non pour attirer capitaux et coopérations. En coulisse, diplomates et investisseurs sondent la viabilité de coproductions régionales, stimulées par la récente création d’un guichet unique pour les entreprises culturelles. L’enjeu dépasse donc la performance scénique : il s’agit de convertir l’esthétique en crédibilité économique.
Regards d’avenir sur la place de Brazzaville
À quelques heures du lever de rideau, le maître chorégraphe se veut prudent mais enthousiaste : « Nous avons la responsabilité de prouver que l’Afrique peut produire des spectacles de même facture qu’à Berlin ou New York ». Dans les gradins, on espère un moment fondateur, capable d’unir générations et diasporas autour d’un imaginaire partagé. Si la réussite du Fespam ne résoudra pas tous les défis de l’écosystème culturel, elle pourrait servir d’accélérateur, en démontrant que le Congo, fort de sa tradition musicale, peut orchestrer une convergence inédite entre art, économie et technologie. Tel est le pari de cette 12e édition : transformer l’énergie des percussions en moteur de développement, et faire de la rumba, non pas un vestige, mais un passeport pour l’avenir.