Un enjeu vital pour les droits des femmes
Sans acte de naissance, impossible d’accéder pleinement à l’école, à la justice ou au vote. Cette réalité touche d’abord les filles, exposées plus que les garçons au mariage précoce et à la traite. L’enregistrement universel constitue donc un rempart stratégique contre les violences sexistes.
La sociologue Mireille Okoundji rappelle que « l’absence d’identité légale invisibilise les femmes et complique tout recours ». Garantir à chaque enfant un certificat, c’est créer la première ligne de défense des droits fondamentaux, depuis la protection sanitaire jusqu’à l’héritage.
Priorité stratégique de la Francophonie
Depuis 2019, le projet phare « État civil » de l’OIF articule des campagnes de sensibilisation, la formation d’agents et l’appui technique aux réformes. L’objectif est aligné sur l’Agenda 2030 : une identité légale pour tous, sans discrimination, dans l’espace francophone.
Le représentant régional de l’OIF, Claude Brunet, insiste sur l’approche « inclusive, intégrée et francophone » qui unit administrations, ONG et communautés religieuses. Cette synergie place l’Afrique centrale au cœur des investissements, tout en valorisant des solutions numériques adaptées aux réalités rurales.
Zoom sur l’Afrique centrale
Au Tchad, plus de 53 000 naissances ont été enregistrées dans la Tandjilé et l’Ennedi Est, grâce à des équipes mobiles qui se déplacent village après village. Une seconde phase est programmée pour couvrir d’autres provinces à forte densité pastorale.
Dans l’Extrême-Nord camerounais, 5 400 enfants obtiennent aujourd’hui la preuve écrite de leur existence. L’opération, soutenue par les autorités locales, limite le risque de déplacement transfrontalier sans contrôle, facteur aggravant des violences basées sur le genre.
En République centrafricaine, le lancement d’un nouveau volet vise 3 000 actes de naissance et la formation du personnel communal. L’enjeu est particulièrement aigu dans les zones marquées par les déplacements internes, où la rupture familiale complique l’accès aux guichets administratifs.
Focus Congo-Brazzaville : des progrès tangibles
À Brazzaville, les centres d’état civil expérimentent depuis 2022 une plateforme numérique soutenue par l’OIF et le ministère congolais de la Justice. Elle réduit les délais d’émission de trois semaines à cinq jours selon les données officielles.
Dans les districts péri-urbains de Talangaï et Makélékélé, des campagnes radio invitent les familles à déclarer les naissances dans les trente jours. Les autorités sanitaires relaient le message dans les maternités publiques, créant un corridor entre la salle d’accouchement et le guichet d’état civil.
Ruth Moukassa, infirmière, observe « une nette hausse des déclarations depuis que les agents viennent collecter les informations directement à la sortie de la maternité ». Cette dynamique correspond aux engagements pris lors de la 8ᵉ Journée africaine de l’état civil célébrée le 10 août.
Voix de terrain : agents et mères témoignent
À Ndoumbi, Rosalie, 27 ans, vient d’obtenir le premier acte de naissance de sa fille. « Je pourrai l’inscrire à l’école à six ans sans tracas », confie-t-elle, soulignant la peur de voir son enfant freinée comme elle l’a été.
Jacques Olinga, officier d’état civil itinérant, parcourt chaque semaine près de 200 kilomètres sur des pistes sablonneuses. « La partie la plus difficile reste la sensibilisation des chefs de ménage », précise-t-il, avant de souligner l’apport des leaders religieux dans l’acceptation du projet.
Défis persistants et pistes de consolidation
Les régions enclavées souffrent encore d’un déficit d’infrastructures. L’absence d’électricité complique l’usage des tablettes d’enregistrement. L’OIF envisage des unités solaires portatives et la duplication papier pour éviter toute perte de données.
La gratuité demeure un autre défi. Si l’acte est censé être sans frais durant les premiers mois, les coûts de transport et certaines perceptions informelles découragent les familles. Des organisations locales proposent des bourses de déplacement pour les ménages les plus pauvres.
Le juriste Michel Songuia plaide pour « un cadre légal protecteur des données personnelles ». L’enjeu est de rassurer les citoyens sur la gestion de leurs informations, condition indispensable à la confiance dans le système.
Perspectives d’ici 2030
Les États d’Afrique centrale, soutenus par la Francophonie, se sont fixés un taux d’enregistrement supérieur à 90 % d’ici sept ans. Des tableaux de bord partagés permettront de suivre les progrès en temps réel et d’ajuster les campagnes.
L’intégration de l’état civil aux systèmes de santé et d’éducation figure parmi les priorités. Chaque certificat de naissance devra automatiquement ouvrir un dossier scolaire et vaccinal, garantissant un suivi continu tout au long de la vie de l’enfant.
Pour les défenseurs des droits des femmes, cette ambition constitue une avancée majeure. « L’identification est la première condition de la citoyenneté », résume la sociologue Mireille Okoundji. En sécurisant l’existence juridique des filles dès la naissance, la région jette les bases d’une société plus inclusive et plus sûre.











