Une académie, un symbole d’empowerment
La salle de banquet d’un hôtel du centre-ville a résonné de rires nerveux puis d’applaudissements sincères quand la trentaine de jeunes femmes, mains croisées, a découvert les secrets d’une table dressée à la française.
Pendant quatre jours, la master class Ambassadrices de l’élégance, première étape de la Pupuce Academy, a tissé bien plus qu’un protocole de service : elle a ouvert un espace de réflexion sur la place des femmes dans la sociabilité congolaise.
Portée par Marina Mondélé, conseillère à la présidence et proche de la marraine Aurélie Makosso, l’initiative bénéficie d’un soutien institutionnel discret mais constant, signe d’une volonté de favoriser l’autonomisation sans heurter les équilibres politiques.
L’art de la table comme langage social
En sociologie, le repas est souvent étudié comme un rituel d’inclusion. Selon l’expert français Jérémy Côme, venu animer les ateliers, « savoir positionner une fourchette, c’est surtout savoir se positionner dans la société », rappelait-il devant un public captivé.
Les orchestrations culinaires, mêlant saka-saka et carpaccio, ont illustré l’idée d’une hybridation culturelle valorisée par les participantes, qui ont compris que l’élégance n’excluait pas la promotion des produits locaux ni la fierté agroalimentaire congolaise.
Certaines ont même évoqué l’exemple de la diaspora congolaise à Paris, où le manioc revisité conquiert les tables étoilées, preuve qu’un savoir-faire assumé peut devenir un outil de diplomatie gastronomique.
Dans un pays où la diversité ethnique se traduit par une mosaïque de codes de politesse, l’apprentissage d’un cadre commun facilite la circulation des femmes dans des sphères professionnelles encore très marquées par l’héritage patriarcal.
Les stagiaires ont appris à maîtriser le silence entre deux services, à lire les signes corporels d’un hôte, autant d’éléments constitutifs du capital social décrit par Pierre Bourdieu.
L’étiquette, patrimoine immatériel congolais
Si l’étiquette se décline en manuels européens, Marina Mondélé insiste sur ses racines locales : « Le mbongui ngoungou, cercle de parole kongo, impose déjà la courtoisie et l’écoute », explique-t-elle, soulignant la continuité entre modernité et traditions.
Loin de nier la culture populaire, la formation redonne valeur aux salutations rituelles, aux formules de bénédiction, aux postures de respect envers les aînés, pratiques que la vitesse urbaine tend à effacer.
Le lingala, le téké et le lari ont été conviés à un jeu de rôle où chaque idiome portait une formule de politesse; l’exercice a rappelé que la pluralité linguistique peut se conjuguer avec courtoisie partagée.
Pour la sociologue Mireille Okemba de l’Université Marien-Ngouabi, ce travail de médiation « permet de négocier l’identité féminine entre exigence globale et racines nationales », un enjeu crucial pour un Congo à la population majoritairement jeune.
Valoriser la confiance et l’éloquence
Au-delà de la civilité, le programme aborde la prise de parole. Exercice de pitch entrepreneurial, contrôle du regard, gestion du trac : chaque module vise à transformer la timidité en ressource persuasive.
La psychologue Olivie Mampouya note une progression rapide : « Le simple fait de se lever pour dire son nom change la posture mentale d’une participante, c’est un premier acte d’agentivité ».
Les séances de développement personnel s’appuient sur des références africaines, comme le concept ubuntu de solidarité, afin de relativiser la compétition individuelle et promouvoir une réussite partagée.
En filigrane, la question des violences sexistes affleure. Affirmer sa voix, connaître les codes, c’est aussi prévenir les situations de domination subtile dans le milieu professionnel ou familial.
Un module d’autodéfense numérique a également alerté sur le cyberharcèlement, rappelant que 52 % des Congolaises connectées déclarent avoir reçu des messages non sollicités, d’après une enquête de l’ONG AfriSafe publiée en juin.
Perspectives vers 2025
Inscrite dans le plan d’actions 2025, la Pupuce Academy envisage d’étendre ses promotions aux départements de Pointe-Noire et de la Sangha, avec des modules spécifiques sur la création d’entreprises sociales dirigées par des femmes.
Un partenariat est déjà à l’étude avec la Maison de la jeunesse et de la citoyenneté pour mutualiser des ressources et pérenniser l’accompagnement post-formation, étape clé selon les experts en empowerment.
Le financement s’appuierait sur un mécanisme de bourses solidaires alimenté par des entreprises locales du secteur pétrolier, qui consacreraient 0,5 % de leur budget RSE à l’égalité des chances.
La remise d’attestations, en présence de familles et de représentants gouvernementaux, a rappelé que la reconnaissance symbolique reste déterminante pour inverser les inégalités de genre.
En sortant, Prisca, 22 ans, confiait son ambition d’ouvrir un service de traiteur : « Je ne savais pas que j’avais quelque chose à apporter avant ces ateliers ». Son témoignage illustre l’impact micro mais tangible de l’initiative.
À l’heure où les plateformes numériques relaient de plus en plus de modèles de réussite féminine, la Pupuce Academy propose une alternative ancrée localement, conciliant patrimoine, modernité et esprit de partage.
En misant sur la transmission intergénérationnelle, la Pupuce Academy espère voir ses lauréates devenir formatrices à leur tour, créant ainsi un effet boule de neige au service d’une société plus inclusive.











