AC Colombe, championne incontestée
Sous le ciel voilé d’Ignié, l’Amical Club Colombe a renversé Galactic Excellence 2-1 et décroché, le 26 août, la couronne nationale féminine 2023-2024. Au-delà du score, la scène raconte l’ascension constante des footballeuses congolaises, longtemps reléguées en marge des projecteurs.
Cette victoire parfaite, trois succès en trois matchs, offre à l’AC Colombe le billet des éliminatoires de la Ligue des champions UNIFFAC. Pour les sociologues du sport, cet accès inédit à la compétition régionale symbolise un pas décisif vers la reconnaissance institutionnelle du football féminin.
Une saison sous tension logistique
Pourtant, la saison a vacillé. Retards calendaires, contraintes logistiques et financement tardif ont bousculé le déroulement. Plusieurs équipes ont dû partager les mêmes bus, comprimant les temps de récupération. Certaines joueuses, salariées dans l’informel, ont jonglé avec les horaires pour honorer entraînements et obligations familiales.
Malgré ces réalités, l’AC Colombe a construit une dynamique collective. Selon l’entraîneure Grâce Mokolo, « la solidarité a été notre première tactique ». Les séances vidéo improvisées sur smartphones dans le dortoir ont permis d’analyser l’adversaire sans budget spécifique, illustrant une résilience organisationnelle rare.
Le match décisif, miroir des progrès
La finale face à Galactic Excellence a toutefois rappelé la minceur des écarts. Menées dès la 20e minute par Mirue Missie, les Colombe ont égalisé par Dedina Mabondzo à la 50e, avant l’explosion d’Irina Ongouya à la 95e minute, les tribunes déjà debout.
Le Clapping final a été salué par les dirigeants fédéraux présents. Ils ont réaffirmé, micro tendu, que la promotion du sport féminin restait « une priorité stratégique » alignée sur la Stratégie nationale d’égalité et de cohésion sociale, adoptée en 2021 par les autorités.
Enjeux sociaux et lutte contre les violences
L’engagement institutionnel se heurte néanmoins à des contraintes financières. À l’heure actuelle, le salaire moyen d’une joueuse de première division est évalué à moins de 70 000 francs CFA par mois, un montant qui peine à couvrir les frais de transport urbain et de soins sportifs.
Pour la sociologue Bertille Ngoka, spécialiste des rapports de genre, chaque victoire médiatisée « élargit l’espace des possibles pour les adolescentes ». En célébrant des modèles féminins performants, explique-t-elle, la société élargit la norme et fragilise les stéréotypes qui naturalisent la violence et la dépendance économique.
La phase finale a également braqué la lumière sur la question de la sécurité. Grâce à un protocole renforcé, les joueuses ont bénéficié de zones vestiaires fermées et d’escortes policières vers le parking. Des mesures jugées « indispensables » par la capitaine de La Source après plusieurs incidents mineurs récents.
Évolutions tactiques et gouvernance inclusive
Sur le terrain tactique, cette édition a confirmé l’influence grandissante des préparations physiques inspirées du futsal, privilégiant pressing haut et changements de rythme. L’AC Colombe a d’ailleurs recruté un préparateur issu de cette discipline, élément décisif pour tenir l’intensité sur les pelouses parfois dures du Centre technique.
La mise en valeur des compétences féminines a, elle aussi, franchi un palier. Pour la première fois, les arbitres principales de toutes les rencontres étaient des femmes, formées au centre d’excellence de la Fédération. Leur prestation, saluée par les observateurs, renforce la gouvernance inclusive prônée par les instances.
Dans les quartiers populaires de Brazzaville, des écrans géants ont été improvisés, transformant la finale en événement communautaire. Pour plusieurs mères, interrogées rue Moukondo, voir des athlètes locales sur le devant de la scène constitue une « preuve tangible» que leurs filles peuvent rêver au-delà des frontières domestiques.
Retombées économiques et perspectives régionales
La bataille contre les violences sexistes trouve ici une plateforme inattendue. Les clubs ont diffusé avant chaque coup d’envoi un spot rappelant le numéro vert 1455, opérationnel depuis 2022 pour signaler les agressions. Selon le ministère de la Promotion féminine, les appels ont augmenté de 18 % durant la compétition.
Pour l’économiste du sport Patrick Mabiala, la performance de Colombe peut attirer des partenariats privés, indispensables au modèle. Il évoque l’exemple camerounais de l’Amazone FAP, qualifiée en Ligue des champions, dont le budget annuel a doublé après la première phase régionale, créant un cercle vertueux.
À court terme, l’équipe se prépare pour les éliminatoires prévues à Malabo. Le staff médical insiste sur la prévention des blessures sur surfaces synthétiques, tandis que la direction finalise les dossiers administratifs de passeport. Les supporters entrevoient déjà les hymnes continentaux, porteurs d’un imaginaire d’unité et de fierté nationale.
Vers une professionnalisation durable
Si le trophée brille déjà dans la vitrine du club, le débat se déplace vers la pérennisation du championnat. Les observateurs appellent à un calendrier stable, à la professionnalisation des encadrements et à un dialogue continu entre fédération, ministères et ONG pour garantir aux joueuses des conditions dignes.
Dans cette perspective, la prochaine assemblée générale de la Fédération prévoit une table ronde consacrée au statut des joueuses. Un premier projet d’assurance santé collective devrait y être présenté, fruit d’une concertation avec des mutuelles locales.











