Publié par 16h46 Actualités

Fest. Mwassi : Cinéma africain, voix féminines

Le festival Mwassi, vitrine du cinéma africain

Dans une salle feutrée du siège brazzavillois du Programme des Nations unies pour le développement, le festival Mwassi a lancé un dialogue dense sur les rapports de genre au sein du septième art africain, devant un public mêlant étudiants, cinéastes et représentants d’agences internationales.

L’événement, programmé le 27 août, s’inscrit dans la ligne d’un projet plus vaste : rendre visible le travail des créatrices tout en outillant la jeunesse pour qu’elle contribue à l’atteinte des Objectifs de développement durable liés à l’égalité entre les sexes.

Henry-René Diouf, représentant adjoint du PNUD-Congo, a rappelé que « promouvoir des espaces sûrs pour les femmes est une condition du progrès humain », soulignant la convergence entre la stratégie nationale genre et les partis pris artistiques d’un festival qui assume pleinement sa dimension citoyenne.

Barrières invisibles et réalités matérielles

Autour de la table, quatre cinéastes et une comédienne ont décrit la topographie parfois accidentée d’un parcours féminin dans l’industrie audiovisuelle : budgets restreints, infrastructures concentrées dans les capitales et réseaux de distribution fermés à celles qui, souvent, réalisent leurs premiers films en auto-production.

Adriella Lou a livré un récit sobre mais saisissant des obstacles qu’elle a rencontrés lors de castings, évoquant des pratiques de prédation qui « minent la confiance et détournent des carrières prometteuses », sans toutefois entamer la détermination d’une génération décidée à rester maître de son art.

Les financeurs publics ou privés étant encore frileux, Razzia Lelahel souligne que la recherche de capitaux mobilise plus d’énergie que l’écriture elle-même, surtout lorsque le scénario bouscule des représentations jugées vendeuses par les diffuseurs régionaux ou les plateformes internationales.

L’écran comme instrument de pouvoir symbolique

Emeraude Kouka, critique et sociologue, rappelle que le cinéma, en tant que dispositif de narration collective, construit des hiérarchies symboliques. Selon lui, l’enjeu n’est pas de créer un art genré mais de garantir la mixité des décideurs à chaque étape, de la préparation au montage final.

Aude May, réalisatrice, insiste sur la dimension performative des images : « chaque plan valide ou conteste une norme ». Elle plaide pour des choix esthétiques conscients qui redistribuent les rôles, notamment hors du couple mère-épouse encore très présent dans les scénarios tournés sur le continent.

Divana Cate ajoute que l’autocensure guette nombre de créatrices lorsqu’elles pressentent une réception sociale hostile. Or, note-t-elle, « la pluralité des voix sert l’ensemble de la société, car ce qu’on ne nomme pas demeure impensé ». Le public, lui, réagit avec curiosité plutôt qu’avec rejet.

Voix émergentes, récits renouvelés

Si les pionnières, de Sarah Maldoror à Safi Faye, sont longtemps restées hors champ dans les manuels, les intervenantes constatent qu’internet et les coproductions régionales favorisent aujourd’hui la circulation de modèles d’identification féminins, accélérant la professionnalisation d’une nouvelle vague d’autrices et de productrices congolaises, gabonaises ou ivoiriennes.

Le festival Mwassi s’emploie justement à archiver, projeter et analyser ces œuvres afin d’éviter qu’elles ne disparaissent dans les limbes des catalogues numériques. Chaque projection est accompagnée d’un atelier de retours critiques, moment où s’élabore une méthodologie collective pour rendre compte de la complexité des expériences féminines.

Au-delà du plateau brazzavillois, des partenariats avec des écoles de cinéma de Kinshasa et de Libreville visent à mutualiser des équipements coûteux et à partager des formations sur les violences sexistes en milieu de tournage, question encore peu intégrée aux curricula audiovisuels classiques.

Perspectives pour une industrie plus inclusive

Les échanges, prolongés dans les couloirs, convergent vers une recommandation : instaurer des mécanismes de financement sensibles au genre, transparents et assortis de clauses éthiques contre le harcèlement, condition préalable à la liberté de création et à la compétitivité internationale des talents congolais.

Pierre Man’s, directrice du festival, résume l’esprit des discussions : « plus nos récits seront divers, plus ils porteront loin ». Elle rappelle que Brazzaville dispose désormais d’un vivier de techniciennes et qu’« investir dans leur formation, c’est investir dans la portée mondiale du cinéma national ».

Pour accompagner cette dynamique, des représentants du secteur bancaire local ont participé à la session, évoquant la création d’un fonds de garantie dédié aux industries créatives. L’idée, encore à l’étude, pourrait réduire les risques perçus et ouvrir la porte à des coproductions sud-sud plus ambitieuses.

En filigrane, le festival Mwassi démontre que la promotion de l’égalité ne relève pas d’un slogan, mais d’une ingénierie sociale articulant politiques culturelles, dispositifs financiers et formation continue. Le cinéma devient alors un laboratoire où se déploie, à l’écran comme hors champ, la promesse d’une citoyenneté paritaire.

Les projections et tables rondes se poursuivront jusqu’à la fin de la semaine, offrant un observatoire précieux aux étudiants de l’Université Marien-Ngouabi venus recueillir des données pour leurs mémoires en sociologie de la culture. Leurs travaux permettront de mesurer l’impact concret d’un tel événement sur les représentations sociales.

Visited 6 times, 1 visit(s) today
Étiquettes : , , , , Last modified: 28 août 2025
Close Search Window
Close