Brazzaville à l’heure de la scène continentale
Le Conseil des ministres du 16 juillet, réuni sous la présidence de Denis Sassou Nguesso, a entériné la tenue du Festival panafricain de musique en juillet 2025. La décision, portée par la ministre en charge de l’Industrie culturelle, Marie-France Lydie Hélène Pongault, confirme que la capitale congolaise restera l’épicentre d’un rendez-vous artistique attendu par tout le continent.
Annoncé du 19 au 26 juillet, le Fespam 2025 poursuivra la trajectoire d’un événement lancé en 1996, conçu dès l’origine comme un laboratoire de la créativité africaine. S’il a souvent épousé les hauts et les bas de l’économie nationale, le festival a toujours su préserver sa vocation à fédérer les scènes musicales francophones, lusophones et anglophones autour d’une identité panafricaine partagée.
Musique et numérique, moteur d’un marché africain
Le thème retenu — « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique » — illustre une volonté d’analyser la filière au prisme des plateformes de streaming, de la blockchain et des nouveaux modèles de droits voisins. Les organisateurs entendent ainsi inviter chercheurs, producteurs et start-up à explorer des questions de monétisation et de protection du patrimoine immatériel, domaines où l’Afrique cherche encore ses marques.
Le symposium scientifique, couplé à un Marché de la musique africaine, vise à décloisonner la réflexion. Pour l’économiste culturaliste Gisèle Okouba, « la dématérialisation rebat totalement les cartes : le continent peut réduire la dépendance aux circuits traditionnels à condition d’investir dans la data ». Brazzaville souhaite se positionner comme un hub d’échanges de compétences et de contenus, capitalisant sur l’essor des usages mobiles estimé à plus de 600 millions d’abonnés d’ici 2025.
Ajustements budgétaires et ingénierie culturelle
Le maintien du festival s’inscrit toutefois dans un contexte de rationalisation des finances publiques. L’État, confronté à la volatilité des recettes pétrolières, a privilégié un format plus resserré : moins de scènes secondaires, davantage d’actions centralisées au Palais des congrès et au complexe de Kintélé. Ce recentrage permet, selon le comité d’organisation, de « minimiser les coûts logistiques sans sacrifier la qualité artistique ».
La stratégie repose également sur un partenariat renforcé avec le secteur privé local et les bailleurs multilatéraux, notamment la Banque de développement des États d’Afrique centrale, mobilisés pour accompagner la modernisation des infrastructures sonores. Le ministère de l’Industrie culturelle mise enfin sur les revenus induits par le tourisme d’affaires, estimant que chaque artiste étranger génère en moyenne trois emplois temporaires dans l’hôtellerie et la restauration.
Les attentes des artistes et du public
À l’approche de l’événement, plusieurs voix d’artistes, dont Trésor Angelos Ofoueme, souhaitent une communication plus lisible. L’absence de programme détaillé sur les réseaux sociaux, premier canal d’information pour une jeunesse ultra-connectée, alimente interrogations et rumeurs. Les organisateurs assurent que la liste des invités sera officialisée « dès la validation finale des visas », soulignant le souci de sécuriser les déplacements dans un contexte régional encore marqué par des restrictions sanitaires résiduelles.
Cette impatience révèle l’évolution du rapport public-institution : la nouvelle génération, familière de l’instantanéité numérique, exige transparence et interactivité. Les équipes du Fespam affirment avoir renforcé leur cellule de community management et prévu un dispositif de billetterie dématérialisée, gage de traçabilité et de lutte contre la spéculation sur les places.
Diplomatie culturelle et soft power congolais
Au-delà de la fête, le Fespam reste un outil de politique étrangère. Soutenu par l’Union africaine et l’UNESCO, le festival consacre la capacité du Congo à orchestrer un dialogue interculturel, dans la lignée de la reconnaissance, en 2021, de la rumba congolaise comme patrimoine immatériel de l’humanité. Pour un diplomate accrédité à Brazzaville, « le Fespam inscrit la musique au cœur d’une diplomatie de connivence, moins protocolaire, qui permet de parler de paix et d’intégration régionale ».
Les autorités entendent ainsi valoriser une image de stabilité et de créativité. La cérémonie d’ouverture, placée sous le haut patronage du chef de l’État, représentera une vitrine symbolique où convergeront délégations ministérielles, institutions financières panafricaines et réseaux d’investisseurs attirés par le potentiel d’un marché de la musique estimé à 10 % de croissance annuelle sur le continent.
Perspectives d’impact économique durable
Au terme d’une semaine de concerts et de débats, l’objectif est clair : transformer l’effervescence artistique en chaînes de valeur pérennes. Le projet d’un incubateur musical, évoqué par le ministère, doit favoriser l’émergence de labels locaux capables d’exporter les talents nationaux. De même, la digitalisation des archives sonores du festival, soutenue par l’Agence française de développement, ouvrira aux chercheurs et aux producteurs un corpus patrimonial encore largement inexploité.
En définitive, la tenue du Fespam 2025, malgré les contraintes financières, témoigne d’une conviction politique : la culture n’est pas un coût mais un investissement. Si les organisateurs parviennent à concilier rigueur budgétaire, visibilité médiatique et innovations numériques, Brazzaville pourrait bien démontrer que la musique, plus forte que la dette, demeure un moteur de cohésion et de croissance partagée.