Algorithmes et parmesan : Rome code pour Brazzaville

Diplomatie technologique en action

La visite de courtoisie effectuée par l’ambassadeur d’Italie, Enrico Nunziata, auprès du ministre congolais des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Léon Juste Ibombo, aurait pu n’être qu’un échange protocolaire. Elle revêt pourtant la portée d’un jalon diplomatique : celui d’une alliance technologique plaçant Brazzaville au cœur de la stratégie numérique transméditerranéenne de Rome. Depuis la signature, le 16 juin, d’un mémorandum d’entente, les deux capitales orchestrent une feuille de route qui transcende la simple coopération classique pour s’inscrire dans une diplomatie d’infrastructures et de savoir-faire, un registre où convergent désormais puissance douce et impératifs de souveraineté numérique.

Le plan Mattei, matrice d’une ambition partagée

Conçu initialement pour refonder la politique italienne en Afrique, le plan Mattei mise, entre autres, sur l’accompagnement de 500 000 startups africaines à l’horizon 2030. Que le Congo ait été choisi comme pays pilote n’est pas anodin : stabilité institutionnelle, position géostratégique au cœur du bassin du Congo et volonté présidentielle réaffirmée de moderniser l’économie confèrent au pays un statut de partenaire de confiance. Les discussions de juillet ont permis de calibrer les premières déclinaisons opérationnelles : financement de jeunes pousses, transfert d’expertise en intelligence artificielle et installation d’un hub de recherche capable de dialoguer avec l’écosystème européen.

Intelligence artificielle et souveraineté numérique

Dans un contexte où la maîtrise de la donnée constitue un enjeu stratégique comparable à celui des ressources naturelles, l’engagement italien d’appuyer l’élaboration d’une stratégie nationale de l’intelligence artificielle apparaît déterminant. À court terme, le Programme des Nations unies pour le développement se chargera de recruter un cabinet spécialisé appelé à dresser l’inventaire des besoins, des normes et des capacités locales. À moyen terme, il s’agit de favoriser l’émergence d’algorithmes entraînés sur des corpus francophones et spécifiques aux réalités congolaises, une condition sine qua non pour éviter la dépendance technologique et affirmer une souveraineté numérique compatible avec les standards internationaux.

Capital humain : le pari de la jeunesse connectée

« Former les jeunes innovateurs est la clef de voûte de toute politique numérique durable », rappelle Léon Juste Ibombo. L’approche retenue combine bourses de mobilité vers les universités italiennes, modules e-learning développés en partenariat avec le centre d’excellence numérique du PNUD à Rome et programmes d’incubation in situ. Dans les couloirs du ministère, on insiste sur la nécessité d’aligner ces formations avec les besoins réels des secteurs porteurs : diagnostic prédictif en santé, optimisation logistique pour l’exportation agricole ou encore cartographie des forêts par satellite. Cette articulation fine entre formation et débouchés économiques constitue l’un des enseignements majeurs des politiques d’innovation menées dans d’autres capitales africaines, de Kigali à Nairobi.

Des effets d’entraînement attendus sur les secteurs clés

Le recours à l’intelligence artificielle dans la santé devrait, selon les projections du ministère, réduire de 20 % le temps de diagnostic pour les pathologies chroniques dans les hôpitaux publics de Brazzaville. Sur le plan agricole, l’intégration d’outils de prédiction climatique pourrait accroître de 15 % le rendement des cultures vivrières en zone forestière. Ces chiffres, avancés à titre prospectif, traduisent une volonté de mesurer l’impact concret de la coopération. Ils participent également d’un récit de modernité qui vise à attirer le capital-investissement international, indispensable à l’industrialisation des prototypes conçus par les jeunes pousses congolaises.

Gouvernance numérique et cadre réglementaire en mutation

Le partenariat avec Rome ne se limite pas au transfert technologique ; il englobe aussi l’accompagnement réglementaire. L’adoption imminente d’un projet de loi sur la protection des données à caractère personnel, inspiré du Règlement général sur la protection des données européen, illustrerait cette dynamique. Pour les observateurs, cet alignement permettra de renforcer la confiance des investisseurs étrangers tout en rassurant les citoyens quant à l’usage de leurs informations. La Commission nationale de cybersécurité, dont la création est évoquée, pourrait bénéficier d’une expertise italienne déjà sollicitée par plusieurs pays méditerranéens.

Perspectives et diplomatie de l’innovation

Enrico Nunziata souligne que « l’avenir du partenariat italo-congolais se jouera dans la capacité des deux parties à maintenir un dialogue constant entre décideurs, universitaires et entrepreneurs ». À l’instar de l’énergie ou des infrastructures, le numérique devient un champ de projection d’influence où l’Italie entend se distinguer par une approche dite de co-construction. Pour Brazzaville, l’enjeu dépasse la seule modernisation technologique : il s’agit d’asseoir la place du Congo comme carrefour numérique d’Afrique centrale, conformément à la feuille de route impulsée par le président Denis Sassou Nguesso. L’installation annoncée du Centre africain de recherche en intelligence artificielle, en collaboration avec des universités de Bologne et de Turin, pourrait constituer le symbole tangible de cette ambition partagée.

Entre projection méditerranéenne et ancrage continental

Si le plan Mattei incarne, pour Rome, une nouvelle manière d’articuler responsabilité historique et opportunité stratégique, il offre au Congo l’occasion de diversifier ses partenariats sans renoncer à ses priorités nationales. Les prochains mois seront décisifs : sélection des premières startups bénéficiaires, publication de la stratégie IA, mise en service des cursus de formation franco-italiens. Autant d’étapes scrutées par les bailleurs internationaux qui voient, dans la réussite congolaise, un cas d’école pour une coopération équilibrée entre Nord et Sud. L’horizon demeure exigeant, mais l’élan est désormais enclenché ; aux acteurs publics et privés de transformer cette promesse numérique en réalité inclusive et créatrice de valeur durable.