Jeunesse au carrefour des mutations sociales
La jeunesse congolaise, forte d’une démographie dynamique, se situe à l’intersection de profondes transitions économiques, urbaines et culturelles. Les données du dernier recensement suggèrent qu’un habitant sur deux du Congo-Brazzaville a moins de vingt ans, panorama démographique qui constitue simultanément un vivier de créativité et un défi de gouvernance. Dans un contexte où la mobilité rurale–urbaine s’accélère, certains analystes observent une « décohésion des solidarités traditionnelles », facteur susceptible d’accroître les situations de vulnérabilité et de délinquance.
Conscients de ces enjeux, les décideurs congolais ont multiplié les programmes d’encadrement socioprofessionnel ciblant les jeunes. Toutefois, la performance de ces dispositifs dépend de la qualité des ressources humaines mobilisées. C’est précisément sur ce levier qu’a porté l’atelier organisé du 30 juin au 3 juillet 2025, avec la ferme intention de doter les cadres de l’Institut national de la jeunesse et des sports (I.N.J.S) d’outils conceptuels et méthodologiques de dernière génération.
Un partenariat institutionnel stratégique
L’alliance conclue entre la représentation de l’UNESCO et le Ministère de la jeunesse, des sports, de l’éducation civique, de la formation qualifiante et de l’emploi illustre une diplomatie du développement assumée. Charles Makaya, directeur de cabinet du ministre, a rappelé lors de l’ouverture que « la consolidation du capital humain demeure la clé de voûte de la stabilité et de la prospérité nationale ». De son côté, Brice Kamwa-Ndjatang, représentant-résident adjoint de l’UNESCO, a souligné le rôle catalyseur de son organisation dans la « construction de passerelles entre expertise internationale et réalités locales ».
Réunissant quarante participants triés sur le volet, le séminaire s’est voulu pragmatique. Les modules, élaborés selon les standards de l’Institut de formation de l’UNESCO, répondaient à un double impératif : renforcer les aptitudes psychosociales des cadres et inscrire leur pratique dans un cadre d’action intersectoriel, condition jugée essentielle à la cohérence des politiques publiques.
Délinquance juvénile : comprendre pour agir
Au cœur des échanges, la délinquance juvénile a été interrogée dans ses déterminants sociaux, économiques et culturels. Les intervenants ont mis en exergue l’effet cumulatif du chômage urbain, de l’oisiveté et des nouvelles formes de sociabilité numérique parfois propices à la violence symbolique. Selon les chiffres présentés, près de 18 % des adolescents interrogés dans les zones périphériques de Brazzaville déclarent avoir été exposés à des actes de violence au cours des douze derniers mois, un taux jugé « préoccupant mais réversible » par les experts.
Le programme de formation a donc inclus des séances sur l’identification précoce des comportements à risque, la médiation communautaire et la triangulation des données issues de la justice, de la santé et de l’éducation. Les participants ont été invités à concevoir des grilles d’observation adaptées au terrain congolais, outil indispensable pour passer d’une logique purement répressive à une prévention fondée sur l’évidence.
L’impératif d’une approche sensible au genre
Les violences basées sur le genre constituent une autre préoccupation centrale. Les formatrices ont insisté sur la nécessité d’une lecture genrée des trajectoires délinquantes, rappelant que les adolescentes sont exposées à des formes particulières de victimisation. Dans certaines villes secondaires, les enquêtes qualitatives montrent que les violences intrafamiliales constituent le premier déclencheur de ruptures scolaires. Une approche sensible au genre implique donc de penser simultanément la protection, la prise en charge psychosociale et l’empowerment économique.
Pour y parvenir, l’I.N.J.S envisage de créer, dans son antenne de l’Institut d’Aubeville, un pôle d’écoute spécialisé. Les cadres formés seront dotés d’outils d’entretien qui favorisent la parole des jeunes filles, souvent invisibilisée dans les statistiques classiques. Cette initiative, présentée comme pilote, pourrait être déployée à moyen terme dans les autres départements, en synergie avec les centres de santé scolaire et les brigades spécialisées de la gendarmerie.
Vers une réinsertion pensée comme bien public
La création de l’Agence nationale d’insertion et de réinsertion sociale des jeunes marque un tournant structurel. Adossée à un réseau de centres, cette agence met l’accent sur la formation qualifiante, l’accompagnement psychosocial et l’accès à l’entrepreneuriat. Les travaux de l’atelier ont exploré différentes passerelles entre l’I.N.J.S et ces centres, notamment le partage de bases de données et l’élaboration de parcours individualisés.
Dans l’esprit des participants, la réinsertion ne se réduit plus à la remise sur le marché du travail ; elle s’appréhende comme un bien public qui renforce la cohésion nationale. Plusieurs intervenants ont cité l’exemple du centre d’Aubeville, où un taux de maintien en activité de 72 % a été observé un an après la sortie. L’enjeu est désormais d’industrialiser ces bonnes pratiques tout en respectant les spécificités locales.
Des retombées attendues sur les politiques publiques
Au terme de quatre jours d’intense réflexion, un engagement commun a été pris : traduire les apprentissages en politiques publiques concrètes. Les participants ont rédigé une matrice d’action qui prévoit la mise en place de comités socio-éducatifs, l’intégration d’indicateurs de genre dans les rapports d’activité et l’organisation de cycles de formation continue avec évaluation semestrielle. Ces décisions devraient nourrir la prochaine feuille de route nationale sur la jeunesse et l’emploi.
Selon Charles Makaya, la réception politique de ces propositions est d’ores et déjà « positive ». Le ministère entend les intégrer dans le projet de loi de finances 2026, preuve d’une articulation efficace entre expertise technique et décision publique. Cette réactivité institutionnelle, saluée par l’UNESCO, illustre la priorité accordée à la jeunesse dans l’agenda gouvernemental.
Perspectives régionales et diplomatiques
L’expérience congolaise n’échappe pas au regard des pays voisins, eux-mêmes confrontés à des dynamiques démographiques similaires. Des délégations venues du Gabon et du Cameroun ont sollicité des visites techniques afin d’évaluer la transférabilité du modèle. Dans un continent où l’intégration régionale devient une donnée stratégique, l’harmonisation des protocoles de prise en charge pourrait favoriser la mobilité des bonnes pratiques et, in fine, la stabilité régionale.
En conclusion, l’atelier de Brazzaville apparaît comme une étape structurante : il consolide le capital humain de l’I.N.J.S, crée des synergies interinstitutionnelles et inscrit la prévention de la délinquance juvénile dans une perspective de développement durable. Si les résultats dépendront de la capacité à maintenir un financement pérenne, la dynamique amorcée témoigne d’une volonté politique claire et d’un partenariat international mature, gages d’espoir pour une jeunesse congolaise en quête d’avenir.