Frémissements nocturnes à Djiri
À mesure que le soleil décline sur les avenues sableuses des quartiers Trois Poteaux et Ibalicko, un imaginaire d’inquiétude prend forme. Les riverains ajustent leur quotidien : magasins clos avant vingt heures, cheminements minutieusement concertés, vigilance partagée. Depuis plusieurs jours, des bandes de jeunes armés de machettes, identifiés sous le vocable de « bébés noirs » ou kulunas, effectuent des descentes éclairs. Les témoignages convergent : vols de téléphones, menaces sur les transporteurs informels, atteintes physiques sporadiques. Le vacarme métallique des battes sur les portails contraste avec le silence prudent des habitants, contraints à une stratégie d’évitement.
Ce sentiment de vulnérabilité n’est pas nouveau, mais il s’est intensifié sous l’effet d’une figure singulière : un ancien détenu, frustré par une incarcération sans jugement, aurait décidé, selon plusieurs sources locales, de fédérer ses pairs dans une logique de représailles. La rumeur, bien que difficile à documenter, agit comme amplificateur de la psychose collective.
Un phénomène criminel aux racines complexes
Le terme kuluna, né dans les années 2000 dans les périphéries kinoises avant de traverser le fleuve, désigne moins une organisation structurée qu’un mode opératoire : violence ostentatoire, appropriation éclair de l’espace public, rituels d’initiation valorisant l’audace. La sociologie de la délinquance congolaise met en exergue un triptyque explicatif : désaffiliation scolaire, précarité urbaine et quête de reconnaissance symbolique. À Djiri, arrondissement jeune et en pleine expansion démographique, ces facteurs se combinent à un déficit d’équipements collectifs et d’éclairages publics encore en cours de déploiement.
Les enquêtes menées par l’Observatoire congolais de la délinquance urbaine indiquent que 67 % des mis en cause sont âgés de 15 à 25 ans. Pour la criminologue Clarisse Ngatsé, « la territorialité kuluna est d’abord une demande de visibilité sociale ». Le maniement de la machette, symbole agricole détourné, exprime à la fois la continuité culturelle et la rupture avec l’ordre établi.
Réponses institutionnelles graduelles
Face à ces incursions, la réactivité de la force publique fait l’objet d’attentes fortes. Le poste de sécurité implanté à Trois Poteaux se heurte à la topographie dense et à la mobilité agile des assaillants. Néanmoins, une stratégie de maillage progressif est à l’œuvre. Un officier de la Direction générale de la police confie que « la priorité demeure la protection des populations tout en respectant la loi et les droits des mineurs impliqués ».
La récente requalification de l’avenue Marien-Ngouabi en axe prioritaire de patrouille, couplée au déploiement ponctuel d’unités cynophiles, vise à restaurer un sentiment de présence étatique. Parallèlement, la justice militaire, compétente dès lors que des armes blanches sont brandies, collabore avec la juridiction pour mineurs afin d’accélérer la prise de décision et d’éviter les détentions prolongées sans jugement, facteur reconnu de radicalisation.
La mobilisation discrète de la société civile
Si l’action régalienne demeure centrale, elle trouve un écho dans une solidarité locale revigorée. Associations de parents d’élèves, comités de quartier et églises pentecôtistes coordonnent désormais des rondes nocturnes non armées, privilégiant la dissuasion verbale et l’appel immédiat aux forces de l’ordre. Un pasteur de l’Armée du Salut observe que « l’écoute des jeunes en rupture familiale constitue une prévention plus durable que la seule répression ».
Des ateliers de médiation ont ainsi vu le jour sur l’esplanade du marché de Djiri ; ils mêlent séances de slam, conseils juridiques et orientation vers l’apprentissage professionnel. L’Agence nationale de l’emploi soutient d’ailleurs, depuis janvier, un programme-pilote de formation en menuiserie et en maintenance de télécommunications, spécifiquement destiné aux adolescents identifiés comme à risque.
Perspectives de cohabitation sécurisée
L’évolution de la situation semble traduire une baisse relative de la fréquence des attaques, même si chaque regain nocturne réactive la tension. Les experts insistent sur le caractère circulaire du phénomène : à défaut de traitement socioéconomique profond, les intervalles d’accalmie risquent d’être fugaces. La municipalité de Brazzaville entend accélérer le pavage des ruelles et la mise en service de lampadaires solaires pour réduire les zones d’ombre psychosociales.
Le ministère des Affaires sociales, en partenariat avec l’UNICEF, finalise pour sa part un dispositif d’accueil de jour destiné aux mineurs en conflit avec la loi, dans une logique de réinsertion plutôt que de simple neutralisation.
Enjeux pour la planification urbaine
Au-delà de l’urgence sécuritaire, l’affaire des « bébés noirs » renvoie à la place de la jeunesse dans la ville africaine contemporaine. Brazzaville, dont la croissance démographique avoisine 3 % l’an, doit conjuguer urbanisme inclusif et gouvernance participative pour éviter que les marges spatiales ne deviennent des marges sociales. Le professeur de géographie urbaine Benoît Mabiala rappelle que « l’agglomération n’est pas seulement un gisement de risques ; elle est aussi un laboratoire de citoyenneté, pour peu qu’on ouvre les canaux de dialogue ».
La résilience de Djiri repose ainsi sur un triptyque : sécurisation graduelle, intégration économique de la jeunesse et valorisation des initiatives locales. Loin de céder au fatalisme, les acteurs publics et privés semblent converger vers l’idée que la prévention de la violence n’est pas un coût, mais un investissement dans la stabilité nationale.