Contextualisation historique des 98 ans de l’APL
Dans les jardins feutrés de la résidence de l’ambassade de Chine à Brazzaville, la célébration du 98ᵉ anniversaire de l’Armée populaire de libération (APL) a fourni le cadre idéal pour rappeler un héritage façonné par la longue marche, les guerres de libération et la modernisation socialiste. La nouvelle ambassadrice, Mme An Qing, a voulu inscrire l’événement dans la perspective d’un « pilier indispensable à la défense de la souveraineté et de l’indépendance chinoises », selon ses mots, rappelant que l’institution militaire est née du Parti communiste chinois et demeure intimement liée à son projet de société.
Ce détour par l’histoire n’est pas anodin : dans la tradition politique chinoise, la remémoration des victoires passées légitime les choix présents. Or, en Afrique centrale, l’APL incarne désormais non seulement la mémoire d’une résilience nationale, mais aussi le vecteur d’une diplomatie de sécurité coopérative. L’auditoire congolais, constitué de diplomates, de parlementaires et du ministre de la Défense Charles Richard Mondjo, a pu mesurer la portée symbolique d’une armée qui revendique plus d’un demi-million de soldats déployés depuis trois décennies dans les opérations de maintien de la paix des Nations unies.
L’APL, moteur de la modernisation chinoise
Au-delà du trope patriotique, l’armée chinoise s’affiche comme un acteur charnière de la transformation économique du pays. L’intégration des hautes technologies civiles au complexe militaro-industriel – du spatial à l’intelligence artificielle – sert d’accélérateur à la stratégie de « montée en gamme » voulue par Pékin. Pour Mme An Qing, l’engagement de l’APL dans la modernisation socialiste démontre que « sécurité et développement se nourrissent mutuellement ».
Une telle articulation résonne particulièrement auprès des décideurs congolais. Depuis 2010, les entreprises chinoises sont omniprésentes dans les secteurs pétrolier, minier et des infrastructures du Congo-Brazzaville. La corrélation entre puissance économique et crédibilité militaire, souvent citée par les stratèges du Forum de Xiangshan, fournit un modèle de développement intégré qui séduit nombre de pays émergents en quête de diversification de partenaires.
Une coopération militaire sino-congolaise en pleine maturation
Sur le plan bilatéral, la diplomate a salué la multiplication des programmes de formation d’officiers et de marins congolais au sein d’académies navales chinoises. L’organisation d’exercices conjoints, encore embryonnaire il y a cinq ans, tend désormais vers une phase plus opérationnelle, avec un accent mis sur la sécurité maritime dans le golfe de Guinée. Dans un contexte où la piraterie fluviale et côtière demeure une préoccupation majeure, ces initiatives répondent à une demande récurrente de Brazzaville : renforcer la surveillance de ses voies navigables et sécuriser les terminaux pétroliers.
Pour Pékin, l’intérêt n’est pas moins stratégique. Les côtes congolaises, point d’entrée du corridor maritime menant vers les riches bassins miniers du Katanga et du Nord-Zambèze, représentent un maillon logistique crucial. La présence de formateurs chinois, soutenue par des équipements de communication interopérables, illustre une approche « gagnant-gagnant » souvent vantée par les discours officiels des deux capitales.
Retombées économiques et sociales d’une alliance assumée
Premier partenaire commercial du Congo depuis bientôt dix ans, la Chine dépasse désormais les dix milliards de dollars d’échanges annuels avec Brazzaville. La signature, l’an dernier, de la Déclaration conjointe sur l’accord de partenariat économique pour l’épanouissement partagé ouvre la voie à une libéralisation progressive des services et à une meilleure protection des investissements. En filigrane, l’APL fournit un parapluie sécuritaire – notamment via la présence de navires de soutien logistique – qui rassure les investisseurs chinois et favorise l’implantation de nouvelles zones économiques spéciales sur le territoire congolais.
Dans la population, cette coopération nourrit des attentes différenciées. Les syndicats soulignent l’accès à l’emploi qu’offrent les chantiers sino-congolais, tandis que certains universitaires rappellent la nécessité d’une montée en compétences locales. Le gouvernement congolais, sans minimiser ces enjeux, met en avant les transferts de technologies facilitant la maintenance des infrastructures et l’optimisation de la chaîne de valeur pétro-gazière.
Vers une sécurité collective afro-asiatique
En fil d’arrière-plan se dessine une vision plus large : celle d’une architecture de sécurité collective afro-asiatique où la Chine, le Congo et d’autres partenaires partagent formation, renseignements et arbitrages diplomatiques. Depuis 2022, Brazzaville participe régulièrement aux dialogues du Groupe des amis de l’Initiative pour la Sécurité mondiale, plateforme chinoise visant à promouvoir la résolution pacifique des conflits régionaux.
L’ambassadrice An Qing n’a pas manqué de rappeler « la détermination commune à renforcer une paix durable et une sécurité commune ». Un propos qui rejoint les orientations stratégiques du président Denis Sassou Nguesso en matière de prévention des conflits et de diplomatie atlantique. Dans un contexte international fragmenté, le tandem sino-congolais affiche ainsi la volonté de conjuguer souveraineté nationale et coopérations multilatérales, faisant de la célébration des 98 ans de l’APL bien plus qu’une simple commémoration : un marqueur d’ambition partagée pour la décennie à venir.