Brazzaville-Pékin : symphonie stratégique durable

Une cérémonie à forte portée symbolique

Sous les lambris de la résidence diplomatique chinoise de Brazzaville, la date du 17 juillet s’est doublée de deux commémorations : le 98ᵉ anniversaire de l’Armée populaire de libération et la prise de fonction d’An Qing, nouvelle ambassadrice de la République populaire de Chine. Aux côtés du ministre de la Défense nationale, Charles Richard Mondjo, la diplomate a fait de cette conjonction mémorielle une plateforme stratégique : redire, devant un parterre de personnalités civiles et militaires, l’exceptionnalité de la relation sino-congolaise forgée sur la « confiance réciproque ».

Le protocole, minutieusement réglé, a souligné la densité des convergences. Les hymnes entonnés, les toasts portés et les apartés discrets ont affirmé que la coopération dépasse désormais le simple registre bilatéral pour s’inscrire dans une architecture de sécurité collective et de développement partagé qui se veut durable.

Le socle économique d’une relation singulière

Depuis plus d’une décennie, la Chine conserve son rang de premier partenaire commercial du Congo, incarnant un flux d’échanges dont la résilience a traversé chocs pétroliers et perturbations logistiques mondiales. Selon les dernières données douanières, le volume des échanges dépasse les cinq milliards de dollars américains annuels, porté par les exportations congolaises d’hydrocarbures et l’importation d’équipements industriels.

L’ambassadrice a souligné que la matérialité de cette collaboration est visible dans le paysage urbain : tours jumelles sur les berges du fleuve, nouveau palais du Parlement, ministère des Affaires étrangères modernisé. Ces infrastructures, financées ou réalisées par des sociétés chinoises, traduisent une stratégie d’ancrage progressif : accompagner la diversification économique prônée à Brazzaville tout en assurant à Pékin un accès privilégié aux ressources et aux marchés de la sous-région.

Vers un partenariat économique pour le développement partagé

Le mois dernier, la signature d’une Déclaration conjointe ouvrant des négociations en vue d’un accord de partenariat économique pour le développement partagé a conféré au Congo le statut de pionnier africain. Pékin y voit le laboratoire d’un nouveau cadre juridique offrant « garantie stable et prévisible » aux investisseurs chinois, tandis que Brazzaville y lit l’opportunité d’attirer des flux d’IDE diversifiés et d’accroître la valeur ajoutée locale.

Concrètement, l’architecture de l’accord – inspirée des traités d’encouragement et de protection réciproque des investissements – devrait intégrer des clauses de transfert de technologies, de formation des cadres et de facilitation douanière. Pour les économistes congolais, la réussite tiendra à la capacité des autorités à aligner ce dispositif sur le Plan national de développement 2022-2026, notamment dans les secteurs prioritaires que sont l’agro-industrie, le numérique et les énergies renouvelables.

La dimension sécuritaire et sanitaire des échanges

La relation bilatérale se décline également sur le registre militaire. An Qing a rappelé la fréquence des stages d’officiers congolais dans les académies chinoises et les exercices conjoints axés sur la formation au maintien de la paix. Le navire-hôpital « Arche de la Paix », dont les escales en 2017 et 2023 ont proposé des milliers de consultations gratuites, illustre l’imbrication de la diplomatie sanitaire dans la doctrine de sécurité globale prônée par Pékin.

Dans un contexte régional marqué par la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée et les défis transfrontaliers, cette coopération militaire est perçue, par Brazzaville, comme une ressource additionnelle pour renforcer les capacités nationales sans alourdir de manière excessive la contrainte budgétaire. Le ministère congolais de la Défense met en avant le « pragmatisme » d’une assistance technique qui complète les partenariats historiques avec la France ou la Russie.

L’ancrage multilatéral et la vision d’une communauté d’avenir

La co-présidence africaine que le Congo assure cette année au sein du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) confère à Brazzaville une visibilité diplomatique accrue. Signe des temps, la diplomate chinoise a multiplié les références au multilatéralisme onusien et à la « sécurité commune, intégrée, coopérative et durable ». Cet agenda se veut complémentaire des mécanismes continentaux, à l’instar de la Zone de libre-échange africaine, dont la Chine soutient l’opérationnalisation.

Sur le plan discursif, la notion de « communauté d’avenir partagé pour l’humanité » structure la rhétorique chinoise. Pour nombre d’observateurs, elle se traduit sur le terrain par des initiatives concrètes : corridors économiques, partenariats universitaires, programmes de bourses qui, à long terme, façonnent des élites congolaises familières des standards technologiques et juridiques chinois.

Perspectives d’une modernisation concertée

À l’issue de la cérémonie, An Qing a déclaré vouloir « inscrire de nouveaux chapitres dans les annales des relations sino-congolaises au grand bénéfice des deux peuples ». La formule, plus qu’un simple trait rhétorique, annonce une phase de consolidation. Du côté congolais, la priorité reste l’industrialisation endogène et la création d’emplois qualifiés, tandis que la partie chinoise mise sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement et l’élargissement de son soft power.

Analystes et diplomates s’accordent sur un même constat : la durabilité du partenariat dépendra de la capacité à équilibrer les gains, à rendre les projets plus inclusifs sur le plan social et à préserver les écosystèmes. Les négociations en cours sur le transfert de compétences dans les secteurs minier et forestier seront, à cet égard, un test majeur. Toutefois, l’histoire récente témoigne d’une constante : lorsqu’il s’agit de conjuguer stabilité politique et ambition de modernisation, Brazzaville et Pékin savent harmoniser leurs partitions.