Chronologie d’une dette convertie en levier
La salle feutrée du ministère congolais des Finances, à Brazzaville, a servi de théâtre le 10 juillet 2025 à la huitième réunion du Comité d’orientation et de suivi du Contrat de désendettement et de développement. Face à face, le ministre Christian Yoka et l’ambassadrice de France Claire Bodonyi ont rappelé, par une poignée de main protocolaire, la longévité d’un instrument bilatéral qui transforme depuis plus d’une décennie des créances en opportunités socio-économiques. L’assistance était dense : représentants sectoriels, experts de l’Agence française de développement, conseillers techniques et diplomates ont scruté, chiffres à l’appui, la trajectoire des projets engagés.
Initié à la faveur des accords de conversion de dettes signés en 2010, le C2D entre Paris et Brazzaville repose sur un mécanisme simple : au fur et à mesure que le Congo honore ses échéances, la France réinjecte les montants remboursés dans le financement de programmes de développement. L’instrument est donc à la fois un marqueur de soutenabilité macro-économique et un levier d’investissement public. Huit sessions de suivi plus tard, la philosophie demeure inchangée : sécuriser une trajectoire budgétaire tout en abordant, par projets ciblés, les défis d’infrastructures, de capital humain et de résilience environnementale.
Orientations stratégiques 2025-2027
D’un point de vue strictement comptable, l’enveloppe de référence atteint 229 millions d’euros, soit environ 150,2 milliards de francs CFA selon la conversion retenue par le Trésor congolais. Treize projets et deux fonds d’études sont actuellement couverts. Trois programmes emblématiques — drainage des eaux pluviales de Brazzaville, formation des travailleurs sociaux, filets sociaux Lisungi — sont déjà livrés ; deux initiatives initialement prévues dans le secteur énergétique ont été suspendues, redéployant ainsi des capacités de financement vers des segments jugés plus prioritaires.
Les fermetures administratives des projets restants s’échelonnent entre 2025 et 2027. Il s’agit, entre autres, de la Corniche urbaine, du Projet d’appui à la relance du secteur agricole et du dispositif d’éducation-formation. Chaque échéance implique un ballet d’évaluations ex-ante et ex-post qui mobilise les directions techniques des ministères, les cabinets d’audit indépendants et les représentants de la société civile. La cartographie des risques, longtemps cantonnée aux retards d’exécution, intègre désormais la volatilité des cours des matières premières et la sinistralité climatique.
La variable sociale au cœur des arbitrages
Au sein de cette matrice, la dimension sociale s’est hissée au rang de variable déterminante. Le projet Telema — littéralement « debout » en lingala — offre un revenu de démarrage aux ménages les plus vulnérables pour initier des activités génératrices de revenus. Cinquante mille bénéficiaires ont déjà été recensés dans le cadre du dispositif Lisungi, rappelait l’ambassadrice Bodonyi, évoquant un « filet qui ne doit laisser personne passer au travers ». Les indicateurs de nutrition, de scolarisation et d’accès aux soins servent de baromètre à la pertinence des transferts monétaires.
Christian Yoka a pour sa part souligné que « l’investissement social, plus qu’une dépense, constitue un amortisseur de chocs macro-économiques ». Cette approche rejoint les recommandations du Programme des Nations unies pour le développement, pour qui la consolidation du capital humain est indissociable d’une trajectoire de croissance inclusive. La priorisation budgétaire se traduit, en interne, par le renforcement des cellules de suivi au sein des ministères des Finances et de l’Aménagement du territoire, afin d’accélérer les décaissements et de réduire la fragmentation des données.
Inflation des coûts, innovation des solutions
Le dossier le plus sensible reste toutefois la poussée inflationniste qui redessine, mois après mois, les coûts des travaux publics. Selon les calculs diffusés par la partie congolaise, certaines lignes budgétaires affichent une dérive supérieure à vingt pour cent par rapport aux estimations initiales. Claire Bodonyi a reconnu que « les enveloppes ne suffisent plus à couvrir l’intégralité des activités votées », tout en assurant la disponibilité de son pays à ouvrir un dialogue élargi avec d’autres bailleurs.
Parmi les pistes explorées figurent l’ajustement technique des cahiers de charges, la mutualisation de marchés régionaux pour capter des économies d’échelle et, le cas échéant, la mobilisation de financements mixtes associant banques de développement et capital privé. Cette ingénierie financière s’accompagne d’une réflexion sur la localisation de la chaîne d’approvisionnement, question cruciale pour le gouvernement congolais qui souhaite stimuler la création d’emplois endogènes.
Entre vision budgétaire et impératif politique
Derrière les tableurs et les graphiques, c’est l’articulation entre vision budgétaire et impératif politique qui se joue. Le Plan national de développement 2022-2026, matrice stratégique du président Denis Sassou Nguesso, affine la hiérarchisation des secteurs à soutenir, quitte à réévaluer la pertinence de certains investissements routiers au profit de la santé ou de l’enseignement supérieur. Le projet d’appui à la modernisation de l’université, longuement discuté durant la session, est emblématique de cette bascule qualitative.
L’équation reste délicate : préserver la discipline macro-budgétaire exigée par les créanciers internationaux tout en affichant des résultats tangibles auprès d’une population impatiente. À cet égard, le C2D joue un rôle de vitrine, démontrant la capacité de l’État congolais à absorber, piloter et justifier des flux financiers complexes sans compromettre la soutenabilité de la dette.
Perspectives multilatérales
Au-delà du bilatéral, Brazzaville et Paris envisagent d’arrimer le dispositif à des initiatives multilatérales, qu’il s’agisse de la Facilité africaine de résilience ou du guichet vert de la Banque mondiale. L’objectif est double : sécuriser des ressources additionnelles et harmoniser les standards de reddition de comptes. En refermant la réunion, les deux chefs de délégation ont préféré l’optimisme prudent à la célébration, conscients que la durabilité d’un programme se mesure moins à la signature d’un avenant qu’à la pérennité des bénéfices pour les citoyens ordinaires.