Café littéraire : l’uniforme à l’heure des vers

Brazzaville célèbre la plume du général Eta-Onka

Dans la touffeur de juillet, la salle polyvalente de l’École préparatoire général Leclerc a brièvement suspendu le cours d’une capitale tournée vers le fleuve Congo pour se laisser envahir par la voix du verbe. Le premier café littéraire de l’Association des Anciens enfants de troupe (AET) y a consacré ses débats au parcours du général de brigade Claude Emmanuel Eta-Onka, disparu le 25 décembre 2024. L’initiative, placée dans la droite ligne de la 16ᵉ journée nationale des AET, entendait conjuger mémoire et création, à l’image d’une institution éducative qui, bien avant l’indépendance, formait des générations entières d’élites militaires et civiles.

Convié en qualité d’animateur principal, Serge Eugène Ghoma Boubanga, poète et secrétaire général adjoint de l’association, a rappelé la filiation presque organique entre l’auteur célébré et l’école d’où il est issu. « Chez Eta-Onka, la discipline du rang se transforme en rigueur métrique, tandis que la camaraderie de chambrée se fait fraternité littéraire », a-t-il précisé devant un auditoire mêlant officiers supérieurs, enseignants, diplomates et étudiants.

La poétique d’un officier au cœur du récit national

Onze titres, dont cinq recueils de poèmes, jalonnent l’itinéraire littéraire du général. Le premier, publié en 1991, prolonge une fidélité ancienne : dès 1973, il remportait le prix de poésie célébrant le dixième anniversaire de la Révolution congolaise. Les textes composés par celui que ses pairs surnommaient discrètement « le Capitaine lyrique » font dialoguer la geste militaire, la cosmogonie Kuyu et la ferveur sportive issue de ses années de capitaine de l’équipe des Forces armées. D’un vers à l’autre affleure la conviction que la souveraineté culturelle procède d’un dialogue constant entre traditions et modernité.

À travers Tandaliennes, recueil de nouvelles salué par le nouvelliste Jessy Loemba, Eta-Onka élargit le périmètre de son œuvre. Le choix du mot « tandaliennes », emprunté au vili, témoigne de son ouverture linguistique et d’une sensibilité post-ethnique qui résonne avec les orientations du ministère de la Culture et des Arts visant à promouvoir la diversité endogène. En mêlant sujets d’universalité – amour, exil, loyauté – et ancrage local, l’auteur participe d’une diplomatie du texte où la République se raconte sans prosélytisme ni retrait.

Gestion du patrimoine éditorial et enjeu de visibilité

Au-delà de l’hommage, les débats ont mis en exergue une difficulté concrète : la rareté des ouvrages sur les étals. Tirés à compte d’éditeur au tournant des années 1990, plusieurs titres sont aujourd’hui épuisés. Pour Serge Ghoma Boubanga, « laisser ces pages s’éteindre reviendrait à enterrer deux fois leur auteur ». Les AET envisagent donc un fonds de soutien à la réédition, qui serait abondé par des mécènes privés et appuyé par les instruments de politique culturelle déjà mobilisés pour la Bibliothèque nationale.

Cette question de la disponibilité se révèle stratégique dans un écosystème du livre congolais encore fragile. Sans diffusion régulière, point d’études universitaires, et sans critiques, point de canon littéraire. Or, la trajectoire d’Eta-Onka illustre ce que la sociologie de la littérature nomme une « production périphérique » : elle réclame à la fois ancrage local et reconnaissance externe, notamment des diasporas et des chancelleries accréditées à Brazzaville, attentives à la vitalité culturelle du pays.

Cartographier les écrivains en uniforme

La présence du conseiller culturel de la Présidence, le professeur Kadima Nzouzi, a ouvert une perspective méthodologique : dresser l’inventaire complet des écrivains militaires congolais et, à terme, organiser un colloque sur l’écriture en uniforme. Il s’agirait d’objectiver la « spécificité éventuelle » d’une littérature produite au sein d’un corps régi par la hiérarchie et la mission régalienne. Un tel chantier rejoint les travaux comparatistes menés dans les pays d’Afrique de l’Ouest, où la figure de l’officier-écrivain occupe une place stratégique dans la construction de la mémoire collective.

Pour le politologue Raphaël Munzemba, invité en observateur, « interroger la plume militaire, c’est éclairer la manière dont l’État se raconte à lui-même ». Au Congo-Brazzaville, cette réflexion trouve un écho particulier : l’armée a souvent tenu un rôle de médiation nationale, et ses écrivains peuvent contribuer à nuancer d’éventuels récits simplificateurs en offrant le témoignage de l’intérieur.

Transmission intergénérationnelle et diplomatie culturelle

Le café littéraire, en se positionnant comme avant-scène du jubilé de l’École préparatoire, inscrit son action dans la politique de valorisation des savoirs impulsée par les autorités. Les organisateurs entendent multiplier les rencontres afin qu’écoliers, cadets et jeunes officiers découvrent, au-delà des manuels de tactique, la puissance heuristique des lettres. Pareille ambition répond à une dynamique internationale : plusieurs partenaires bilatéraux voient dans les échanges culturels un facteur de stabilité et d’attractivité.

À l’heure où l’Afrique centrale cherche à renforcer ses industries créatives, la postérité d’Eta-Onka devient un cas d’école. Elle révèle la nécessité de synergies entre institution militaire, secteur privé de l’édition et représentation diplomatique, afin de faire des œuvres en uniforme un bien commun. C’est l’un des enseignements majeurs de cette réunion : célébrer la mémoire ne suffit plus, il faut la rendre disponible, lisible et partageable. La République, garante de la continuité, y trouve un vecteur de rayonnement supplémentaire, fidèle à l’esprit de cohésion nationale promu au plus haut niveau de l’État.