Des chiffres qui interpellent
Le nouveau rapport de l’Unicef recense plus de 3 300 violences sexuelles en 2021, soit une progression de 33 % par rapport à la période précédente. Ces données, collectées dans les hôpitaux, commissariats et centres d’accueil, constituent la photographie statistique la plus détaillée jamais publiée dans le pays.
Une photographie statistique inédite
Faute de relevés systématiques, l’ampleur des violences demeurait jusqu’ici partiellement invisible. « Nous disposons enfin d’une base solide pour agir », observe Mycoeur Bakissi, du Réseau africain des adolescents et jeunes en population et développement, soulignant l’importance stratégique de ces indicateurs pour orienter les politiques publiques.
Facteurs socio-culturels persistants
Les normes patriarcales héritées de la tradition, la persistance des unions précoces et la stigmatisation des victimes nourrissent un climat propice aux violences. Les spécialistes rappellent que l’inceste, souvent tus, représente une part non négligeable des cas recensés, traduisant une rupture grave du lien familial.
Pressions urbaines et vulnérabilité économique
La croissance rapide de Brazzaville et Pointe-Noire accroît la promiscuité et la précarité, aggravant les risques pour les femmes et les adolescentes. Les effets durables de la pandémie de Covid-19 sur l’emploi informel ont également fragilisé les moyens de subsistance, rendant les ménages plus vulnérables aux tensions domestiques.
Voix des professionnels de santé
Dans les services d’urgence, les soignants observent l’arrivée quasi quotidienne de survivantes. « Le pic du week-end est devenu courant », relate une infirmière du Centre hospitalier universitaire, évoquant le besoin urgent de kits post-viol et de personnel formé à l’écoute psychologique.
Défis de la prise en charge médicale
Le traitement prophylactique du VIH, la contraception d’urgence et le soutien psychologique doivent être administrés dans les 72 heures. Or, faute de transports accessibles ou par crainte du jugement social, de nombreuses victimes arrivent tardivement, compromettant leur rétablissement et la préservation de preuves médico-légales essentielles.
Un parcours judiciaire encore fragile
Les procédures se heurtent à la lenteur et au coût. Roméo Mbengou, juriste, constate que de nombreux dossiers finissent en arrangement familial. « La médiation efface la responsabilité pénale et laisse les survivantes sans réparation adéquate », explique-t-il, appelant à un accompagnement juridique systématique.
La Loi Mouebara, outil à consolider
Adoptée en 2022, cette loi punit les violences faites aux femmes de peines pouvant atteindre deux ans d’emprisonnement. Les associations saluent ce cadre mais estiment qu’il nécessite des textes d’application détaillés, la formation des magistrats et une vulgarisation auprès des communautés rurales pour devenir réellement dissuasif.
Formations et brigades spécialisées
Le ministère de la Promotion de la femme teste, avec l’appui d’ONU Femmes, des brigades de police dédiées. Les agents y reçoivent des modules sur l’accueil non stigmatisant et la préservation des preuves. Les premières évaluations montrent une hausse des plaintes formelles dans les quartiers pilotes.
Rôle pivot des organisations de jeunes
Les collectifs de jeunes animent des causeries dans les écoles et sur les réseaux sociaux. Le hashtag #NsonaTe, signifiant « Pas ta faute » en lingala, vise à briser le silence. « Nous voulons que chaque élève connaisse le numéro vert d’alerte », insiste la militante Grâce Mouzinga.
Mobilisation religieuse et traditionnelle
Pasteurs, imams et chefs coutumiers sont progressivement impliqués dans des sermons et palabres condamnant les agressions sexuelles. Leur légitimité morale facilite la diffusion de messages de tolérance zéro et encourage la déclaration des faits, en particulier dans les zones où le droit coutumier reste influent.
Innovations numériques de signalement
Une application mobile, soutenue par l’Agence de régulation des postes et communications électroniques, permet l’envoi discret de coordonnées GPS aux forces de l’ordre. Plus de 800 alertes ont déjà été traitées, démontrant l’apport des technologies pour contourner la peur de représailles.
L’éducation sexuelle comme rempart
Le ministère de l’Enseignement général intègre progressivement des modules sur le consentement et l’égalité dans les manuels du cycle collège. Des recherches menées à l’Université Marien-Ngouabi montrent que les élèves exposés à ces cours développent une capacité accrue à identifier les situations à risque et à demander de l’aide.
Dialogue hommes-femmes en cours
Des ateliers de masculinité positive ciblent conducteurs de bus, policiers et étudiants. Animés par des psychologues, ils encouragent l’expression des émotions et la gestion non violente des conflits. Les participants témoignent d’une amélioration de la communication dans leur foyer, reflet d’un changement progressif des rapports de genre.
Soutien international complémentaire
Le Congo bénéficie de financements conjoints de la Banque mondiale et de l’Agence française de développement pour renforcer les centres d’écoute. « Les bailleurs soutiennent mais l’appropriation nationale reste la clé », précise Cynthia Acka-Douabelé de l’Unicef, soulignant l’importance d’un budget public pérenne.
Vers un observatoire national permanent
Le gouvernement envisage la création d’une plateforme inter-ministérielle de collecte et d’analyse de données sur les violences basées sur le genre. Cet outil devrait permettre un suivi en temps réel, la planification de campagnes ciblées et l’évaluation transparente des politiques engagées.
Responsabilité collective pour un futur sûr
Face à la progression des violences, chaque acteur — État, société civile, familles, partenaires techniques — détient une part de solution. La disponibilité de statistiques crédibles ouvre une nouvelle étape : transformer les chiffres en actions concrètes afin que chaque femme, chaque fille, vive en sécurité et dignité.











