Coder à Shenzhen, penser Brazzaville

Shenzhen, laboratoire global pour la jeunesse congolaise

Il est des « villes-monde » dont l’énergie semble abattre toute frontière. Shenzhen, pionnière de la tech chinoise, appartient à cette catégorie. C’est ici que cinq lycéens congolais, accompagnés de deux enseignants, ont vécu une immersion intensive dans les arcanes du codage et de l’intelligence artificielle. Durant une semaine, le partenariat Unesco-Codemao, appuyé par les autorités congolaises, leur a offert un accès privilégié à des laboratoires de pointe où l’apprentissage machine, la vision par ordinateur ou encore le traitement du langage naturel constituent le quotidien des ingénieurs.

Si ce second voyage d’étude reste bref en apparence, il est dense en contenu. Au contact de spécialistes chinois réputés, les participants ont découvert des protocoles d’entraînement de réseaux neuronaux, manipulé des environnements de programmation visuelle et mesuré l’importance de la donnée dans les économies de demain. Autant d’éléments qui confèrent à l’expérience une portée dépassant la simple convention académique.

De la théorie à la pratique : un transfert de compétences ciblé

Le choix d’une pédagogie résolument pragmatique n’est pas anodin. Sur les bancs du lycée industriel du Premier-Mai, l’enseignant Chris Moukana observe depuis plusieurs années la soif de concret des adolescents. À Shenzhen, il explique avoir trouvé une méthodologie qui confie rapidement le clavier à l’apprenant, afin que l’utilité sociale de l’algorithme ne reste pas abstraite. L’approche s’inscrit dans la mouvance de la « cooperation Sud-Sud », concept rappelé par la représentante de l’Unesco, Fatoumata Barry, selon lequel les pays émergents peuvent partager leurs expériences pour accélérer leur développement mutuel.

La délégation congolaise n’a pas seulement reçu des clés pour coder. Elle a acquis une vision systémique : comment une ville devenue zone économique spéciale en 1980 a pu, en moins d’un demi-siècle, se muer en hub mondial de l’innovation. Cette trajectoire alimente les réflexions des autorités éducatives congolaises qui souhaitent, à terme, reproduire des clusters technologiques à Pointe-Noire, à Brazzaville ou encore à Oyo, favorisant la création de start-up locales.

L’enjeu pédagogique : former des citoyens numériques critiques

L’enthousiasme suscité par l’intelligence artificielle ne doit pas occulter l’exigence de responsabilité. Dans les salles de classe chinoises visitées par la délégation, l’éthique algorithmique se traduit par des séances dédiées à la transparence des modèles et à la sécurité des données personnelles. La future intégration de ces modules dans les programmes congolais répondra à un impératif double : garantir la souveraineté digitale et protéger les usagers face aux dérives potentielles d’une technologie en évolution rapide.

Dans son allocution à l’aéroport Maya-Maya, Fatoumata Barry a insisté sur la dimension citoyenne de la formation : « Nos étudiants reviennent avec des compétences de pointe et un esprit ouvert sur le monde. Ils seront les ambassadeurs d’une innovation inclusive, soucieuse de l’intérêt général. » La perspective rejoint la stratégie gouvernementale qui, depuis le Plan national de développement 2022-2026, identifie le numérique comme levier essentiel de diversification économique.

Vers un écosystème local de l’intelligence artificielle

La question qui se pose désormais est celle de l’essaimage. Les sept participants se préparent à animer des ateliers dans leurs établissements d’origine, à concevoir des manuels adaptés aux réalités congolaises et à participer, avec l’appui du ministère de l’Enseignement général et technique, à la mise en place de laboratoires d’innovation pédagogique. L’objectif est clair : éviter que la formation reçue ne soit qu’un brillant souvenir et en faire le socle d’un réseau national de compétences.

Au-delà des lycées, l’écosystème entrepreneurial congolais observe attentivement ces initiatives. Plusieurs jeunes pousses, actives dans l’agritech et la fintech, anticipent déjà l’arrivée de profils capables de prototyper des solutions d’intelligence artificielle dédiées au marché local. Ce frémissement s’inscrit dans une dynamique continentale : selon les projections de la Banque africaine de développement, l’économie numérique pourrait représenter 5,2 % du PIB africain en 2025.

Un partenariat pilote pour une ambition nationale

Le programme Unesco-Codemao illustre la valeur stratégique du multilatéralisme éducatif. Du côté congolais, il bénéficie d’un soutien politique constant, facteur de continuité rare dans l’enseignement technique. Du côté chinois, il répond à la volonté d’élargir les ponts culturels et scientifiques avec l’Afrique francophone. Loin des discours abstraits, cette collaboration se matérialise par des sessions de formation, des plateformes logicielles mises à disposition et un suivi personnalisé des cohortes formées.

La représentante de l’Unesco évoque déjà un troisième voyage, élargi cette fois à des enseignants universitaires et à des responsables de centres de recherche. Dans le même temps, les autorités congolaises travaillent à l’adaptation du cadre réglementaire, afin de favoriser la recherche-développement privée et d’attirer les investissements étrangers dans le secteur des technologies de rupture.

Cap sur l’avenir : entre prudence et volontarisme

Alors que les jeunes diplômés foulent de nouveau le tarmac de Brazzaville, l’enjeu dépasse l’éclat médiatique de leur voyage. Il s’agit désormais d’inscrire l’intelligence artificielle dans la durée, de former un corps enseignant aguerri et de garantir la compatibilité des équipements avec les infrastructures locales. L’exemple de Shenzhen sert de boussole, non de modèle rigidement transposable. La singularité congolaise, tissée de créativité et de résilience, devra se refléter dans chaque algorithme mis en production.

Forte d’une stratégie numérique clairement affirmée, la République du Congo dispose aujourd’hui des premiers maillons d’une chaîne de valeur qui pourra, à terme, générer des emplois qualifiés, promouvoir la recherche appliquée et renforcer la compétitivité régionale du pays. Les sept voyageurs en sont la vive illustration : à travers eux, c’est toute une jeunesse qui expérimente la possibilité d’un futur où code et culture dialoguent sans hiérarchie.