Collectivités congolaises : l’autonomie sans le chéquier ?

Un chantier institutionnel stratégique

Depuis la révision constitutionnelle de 2015, la République du Congo s’est résolument engagée dans une démarche de déconcentration renforcée et de décentralisation graduelle. Sous l’impulsion du chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, l’objectif affiché est de rapprocher la décision publique du citoyen et de faire des exécutifs locaux de véritables moteurs de développement. La création de conseils départementaux dotés de larges attributions en matière d’aménagement, d’éducation et de santé a placé les élus de terrain au cœur de la fabrique des politiques publiques. La récente visite à Brazzaville du professeur Jean Girardon, maire français et universitaire chevronné, a remis en lumière l’un des préalables de toute décentralisation efficace : accorder aux collectivités les moyens d’assumer leurs nouvelles charges.

Le cadre législatif et son évolution

La loi organique de 2003, complétée par celle de 2011 relative à la libre administration des collectivités, dresse une architecture institutionnelle saluée pour sa clarté par plusieurs organisations partenaires. Toutefois, l’actualisation régulière des textes apparaît indispensable afin de tenir compte de la multiplication des compétences transférées, qu’il s’agisse de la gestion des marchés ruraux, du petit hydraulique ou encore de la préservation du patrimoine culturel. Le président du Sénat, Pierre Ngolo, a récemment souligné que « la norme doit évoluer au même rythme que la réalité du terrain », sous peine de créer un décalage entre le droit écrit et la pratique locale.

Dans cet esprit, la Commission nationale de décentralisation planche sur un avant-projet de loi visant à préciser la distribution verticale des responsabilités et la coordination intercommunale pour les domaines intrinsèquement transversaux, tels le tourisme ou la transition écologique. Cette clarification juridique est d’autant plus cruciale que nombre de collectivités réclament la sécurisation de leur périmètre d’action pour attirer partenaires et investisseurs.

Finances locales : l’équation budgétaire

Le nœud gordien demeure la question des ressources. Si la dotation générale de décentralisation, abondée par l’État, constitue une assise financière appréciable, elle peine à absorber l’ensemble des charges nouvelles. Jean Girardon, fort de quarante années d’expérience élective, avertit : « Donner des compétences sans les ressources nécessaires revient à condamner les collectivités à l’inefficacité. » Son constat fait écho aux rapports annuels de la Cour des comptes congolaise qui pointent une dépendance budgétaire supérieure à 60 % vis-à-vis du Trésor public.

Le ministère des Finances explore plusieurs pistes, dont la révision du panier de fiscalité locale, l’optimisation du recouvrement des taxes sur l’activité informelle et une meilleure péréquation entre territoires. Parallèlement, la Banque mondiale appuie un programme de renforcement des régies financières municipales à hauteur de douze millions de dollars, conditionné à la mise en place d’outils de contrôle interne et de comptabilité accrual. L’enjeu, note un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, est de « concilier autonomie financière et discipline budgétaire afin de consolider la confiance des citoyens et des bailleurs ».

Capital humain et statuts des élus

La réussite du processus passe également par la valorisation du facteur humain. Le statut des élus locaux, révisé en 2022, introduit pour la première fois un régime d’indemnité tenant compte de la taille démographique de la collectivité et du niveau de responsabilités. Cette évolution vise à professionnaliser la fonction, à prévenir les conflits d’intérêts et à encourager la participation de profils issus de la société civile, des femmes et des jeunes. « La dimension quantitative attire de nouvelles vocations, la dimension qualitative encadre leur exercice », résume Jean Girardon.

Au-delà des élus, l’administration territoriale a lancé un vastes programme de formation continue avec l’École nationale d’administration et de magistrature, centré sur la planification participative et la commande publique. Les premiers retours font état d’une amélioration sensible de la préparation des budgets primitifs et d’un meilleur suivi des marchés publics, gages d’une gouvernance plus transparente.

Vers une gouvernance territoriale partenariale

La décentralisation congolaise, souvent louée pour son pragmatisme, repose sur l’idée que l’État stratège et les collectivités opérationnelles doivent travailler de concert. Dans son adresse à la Nation du 15 août dernier, le président Sassou Nguesso a rappelé que « le développement harmonieux du territoire commande des collectivités inventives, mais également un État facilitateur et régulateur ».

La coopération internationale, qu’elle provienne de communes jumelées françaises, de consortiums philanthropiques ou d’institutions régionales, joue ici un rôle d’accélérateur. L’ouverture au benchmarking, soulignée par le professorat Girardon, permet d’importer des modèles éprouvés, notamment en matière de fiscalité verte ou de gestion concertée des bassins versants. À l’heure où la croissance urbaine congolais atteint 4,5 % par an, la gouvernance territoriale doit inventer des solutions adaptées pour maintenir le cap d’une décentralisation synonyme, non pas d’éparpillement, mais de synergie au service du bien-être collectif.