Congo: Décentralisation, l’audace budgétaire locale

Un dialogue bilatéral au cœur du Sénat congolais

Le vaste salon d’honneur du Sénat, dominé par les boiseries républicaines, a été le théâtre d’un échange dense entre le Président de la Chambre haute, Pierre Ngolo, et le professeur Jean Girardon, maire de Mont-Saint-Vincent et enseignant à Sorbonne-Université. La conversation, tenue le 17 juillet, a remis au centre de l’agenda parlementaire une équation qui traverse toutes les démocraties contemporaines : comment articuler proximité citoyenne et efficacité administrative dans le cadre d’une décentralisation maîtrisée.

La trajectoire législative de la décentralisation

Depuis la révision constitutionnelle de 2015, le Congo-Brazzaville a engagé une série d’ordonnances et de textes d’application visant à transférer des attributions jusque-là détenues par l’État central vers les départements, districts et communes. Le cadre juridique, consolidé par la loi organique de 2022 sur la libre administration locale, confirme l’option stratégique prise par le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, de promouvoir une gouvernance de proximité s’appuyant sur la responsabilité des exécutifs territoriaux. Si ce corpus normatif se veut progressif, il tend à inscrire la décentralisation dans une dynamique irréversible, où chaque niveau d’administration se voit confier un domaine d’intervention clairement circonscrit.

Pour plusieurs observateurs, cette codification graduelle évite l’écueil d’un transfert précipité des prérogatives et garantit la lisibilité de l’action publique. Le professeur Girardon relève que le séquencement choisi par Brazzaville permet de « calibrer les relais locaux » tout en maintenant la solidarité nationale indispensable aux chantiers structurants tels que la modernisation des réseaux routiers ou la couverture sanitaire.

L’équation budgétaire des compétences transférées

Le cœur de la problématique réside cependant dans la dotation financière des collectivités. Alors que quinze compétences ont désormais vocation à être exercées au niveau communal, les budgets locaux demeurent, pour l’heure, largement constitués de subventions d’équilibre et de quote-parts de la fiscalité nationale. Selon les estimations agréées par le ministère congolais de l’Économie, la part des ressources propres des communes oscille encore autour de 18 % de leurs charges de fonctionnement, un ratio que les institutions internationales qualifient de perfectible.

Jean Girardon rappelle, à l’aune de l’expérience française, que « les lignes budgétaires doivent suivre la ligne des responsabilités ». Plusieurs pistes sont examinées à Brazzaville, allant de l’actualisation des bases cadastrales pour amplifier le rendement de la taxe sur l’habitat, à l’activation de partenariats public-privé dans les secteurs culturel et touristique. Le gouvernement congolais a d’ores et déjà majoré de 12 % la Dotation Générale de Décentralisation inscrite au budget 2024, signe d’une volonté d’accompagner la montée en puissance des exécutifs locaux, sans pour autant compromettre l’équilibre macro-budgétaire national.

Statut des élus : vers une professionnalisation assumée

Au-delà des chiffres, le statut de l’élu constitue le socle sociologique de la réforme. La loi de mars 2019 relative à la fonction élective locale, saluée par l’Union africaine, offre un cadre d’éthique et de protection sociale aux maires et conseillers. Pour Jean Girardon, un tel dispositif a un impact quantitatif, en ouvrant l’arène politique à des profils issus de la société civile, mais aussi qualitatif, en codifiant les obligations déontologiques. La démarche renforce la confiance des bailleurs et alimente un cercle vertueux où attractivité du mandat et rigueur de gestion se conjuguent.

Leçons comparées et diplomatie territoriale

L’offensive de benchmarking international opérée par Brazzaville gagne en intensité. Les ateliers de renforcement de capacités organisés au Sénat, auxquels participent successivement des élus français, rwandais ou canadiens, illustrent la diplomatie territoriale naissante du Congo. À travers ces échanges, il s’agit moins d’importer des modèles exogènes que d’ajuster les outils locaux. La pratique conjointe de la planification stratégique, de la contractualisation pluriannuelle et de l’évaluation participative nourrit une culture de résultat déjà visible dans certaines communes pilotes comme Owando ou Dolisie.

Pour les partenaires techniques et financiers, la maturation d’un tel écosystème offre une visibilité accrue du risque, condition préalable à l’inflexion des flux d’investissement vers les territoires. Plusieurs délégations européennes, emmenées par des agences de développement, ont ainsi évoqué la possibilité d’appuyer la création de fonds d’ingénierie territoriale destinés à accompagner les porteurs de projets locaux.

Vers une gouvernance territoriale partenariale

Au terme des échanges, la convergence de vues entre le Sénat et les experts confirme la pertinence d’une gouvernance reposant sur la subsidiarité, la solidarité et la responsabilisation. Le chef de l’État, dans son adresse du 15 août 2023, avait d’ailleurs souligné que la décentralisation constitue « une école de citoyenneté et un vecteur de développement endogène ». Dans cette perspective, la clarification des périmètres d’action, la montée en compétences des agents et la sécurisation des ressources budgétaires devraient former le triptyque d’une réforme appelée à redessiner durablement le paysage institutionnel congolais.

En dernière analyse, l’enjeu dépasse la simple gestion des affaires locales : il s’agit de consolider la démocratie représentative, de stimuler l’innovation sociale et de libérer le potentiel économique des territoires. À l’heure où nombre de pays cherchent à réinventer la cohésion nationale, le Congo-Brazzaville explore une voie calibrée, soucieuse d’équilibre, qui pourrait faire école dans la sous-région. Encore faut-il, pour reprendre les mots de Jean Girardon, « associer au souffle politique les poumons financiers nécessaires ». Les bases semblent désormais posées pour que compétences et moyens marchent d’un même pas.