Congo : encore un appel au grand mbongui ?

Une lettre ouverte qui réactive le débat public

Datée d’aucun lieu mais ciselée dans un registre solennel, la missive parvenue à la presse et signée par trente-sept personnalités politiques et associatives, de Brazzaville à Paris, rappelle que « les cultures du mbongui imposent de s’asseoir pour parler ». L’enjeu est clair : obtenir du chef de l’État la convocation d’un « vrai dialogue politique national, rassemblant sans exclusive les forces vives ». La démarche, quoique récurrente dans l’histoire politique congolaise, résonne aujourd’hui avec une acuité particulière, à trois ans de la présidentielle prévue en 2026.

Des doléances enracinées dans le vécu socio-économique

Les signataires affirment que « l’extrême misère » et « la désespérance sociale » nourrissent désormais la défiance citoyenne. Rappelant l’accélération de l’inflation, les tensions sur l’eau et l’électricité ou la précarité de l’emploi, ils esquissent un tableau qui interpelle toutes les sensibilités politiques. D’un point de vue macro-économique, la dette publique avoisine, selon le ministère des Finances, 88 % du PIB, tandis que la croissance hors pétrole reste modeste. Sur le terrain, cette équation se traduit par un pouvoir d’achat érodé et par l’attente d’un filet social plus robuste. L’appel au dialogue apparaît alors comme une tentative de construire, en amont du cycle budgétaire 2024-2026, une réponse systémique aux vulnérabilités identifiées.

Le précédent des conférences et forums nationaux

Depuis la Conférence nationale souveraine de 1991 jusqu’au Forum pour la paix de 2015, les autorités congolaises ont démontré une propension à institutionnaliser la concertation. À chaque séquence, la présidence a souligné la nécessité de préserver la stabilité tout en intégrant la pluralité des voix. Les observateurs diplomatiques notent que ces exercices, bien que perfectibles, ont permis de désamorcer plusieurs crises institutionnelles. Dans cette perspective, l’initiative actuelle n’est pas un geste de rupture : elle s’inscrit plutôt dans une tradition où l’exécutif arbitre le tempo et le périmètre du dialogue, en tenant compte des contingences sécuritaires régionales et des engagements internationaux du pays.

Un calendrier électoral sous le prisme de la faisabilité

La controverse la plus saillante touche à l’échéance présidentielle. Les pétitionnaires jugent « lunaire » d’organiser le scrutin sans réformes préalables. Pourtant, la Commission nationale électorale indépendante poursuit la modernisation du fichier biométrique et l’harmonisation du contentieux électoral. Pour plusieurs analystes, l’interrogation n’est pas tant de savoir si le vote se tiendra, mais dans quelles conditions logistiques et politiques il confortera la légitimité institutionnelle. Le pouvoir, qui met en avant ses programmes de développement des corridors routiers et de l’agro-industrie, pourrait considérer le dialogue comme un moyen de consolider ces projets plutôt que de les suspendre.

Les marges de manœuvre d’une diplomatie intérieure

Le président Denis Sassou Nguesso, régulièrement salué pour ses médiations régionales, connaît la valeur stratégique du consensus. Dans les cercles diplomatiques, on rappelle qu’un dialogue réussi offrirait un signal positif aux bailleurs, notamment dans la perspective de la deuxième revue du programme conclu avec le FMI. À l’inverse, une crispation prolongée pourrait peser sur les indicateurs de risque-pays. Entre ces deux scénarios, plusieurs passerelles existent : grâce présidentielle ciblée, commissions thématiques sur la gouvernance économique ou encore mécanismes de suivi inclusifs. Autant de dispositifs compatibles avec l’esprit de la Constitution tout en répondant, partiellement, aux attentes des pétitionnaires.

Un appel qui interroge la culture politique congolaise

Au-delà du contenu, la lettre ouverte illustre la place qu’occupent aujourd’hui les initiatives citoyennes dans l’arène virtuelle. Cette « démocratie d’interpellation », où les réseaux sociaux amplifient chaque prise de position, oblige gouvernement et opposition à repenser leurs canaux de légitimation. Si l’exécutif décidait d’embrayer, il disposerait d’une occasion de renforcer son image de garant de l’unité nationale. S’il choisissait la temporisation, les signataires pourraient se prévaloir d’avoir, au moins, suscité le débat. Dans tous les cas, le recours au symbole du mbongui rappelle qu’au Congo, la palabre n’est pas un signe de faiblesse mais une forme codifiée de résilience politique.

Entre attentes sociales et horizon de 2026

La trajectoire des prochains mois dépendra de la capacité des parties prenantes à articuler exigences sociales et séquence électorale. Les populations, premières concernées, expriment des priorités concrètes : sécurité, emploi, services de base. Le dialogue, s’il advient, sera jugé à l’aune de réponses tangibles dans ces domaines. À l’inverse, un face-à-face strictement politique risquerait de manquer sa cible. Dans cette équation, la société civile, les partenaires internationaux et les collectivités locales constituent des courroies d’engagement, capables d’ancrer les résolutions dans le quotidien des citoyens.

Perspective : de la rhétorique à l’opérationnel

L’appel lancé au chef de l’État témoigne de la vitalité, parfois véhémente, de la pluralité congolaise. Pour transformer cette énergie en résultats mesurables, un possible format de concertation devra combiner principes constitutionnels, expertise technique et sensibilité culturelle. Le précédent des dialogues passés suggère que la recherche du compromis, plutôt que de la confrontation, reste la voie privilégiée pour sécuriser la trajectoire de développement esquissée dans le Plan national de développement 2022-2026. En définitive, le mbongui demeure moins un événement qu’un processus : c’est dans la patience des médiations et la densité du travail de terrain que se mesurera la portée réelle de cette nouvelle lettre ouverte.