Un chantier social et environnemental stratégique
Depuis le 8 août, cinq localités du Djoué-Léfini se sont muées en vaste atelier à ciel ouvert. Plus d’un millier d’ouvriers terrassent, curent et reboisent les abords des pistes agricoles protégées, dans le cadre du projet Proclimat financé par la Banque mondiale.
À Mpoumako, Inoni falaise et Inoni plateau, les brouettes s’alignent devant les tas de latérite. Ici, l’assainissement en Haute intensité de main-d’œuvre revêt un double rôle : améliorer l’hygiène collective et amortir les chocs économiques liés au changement climatique, résume le préfet Léonidas Carel Mottom Mamoni.
L’approche Himo, moteur d’inclusion économique
Le modèle Himo repose sur la mobilisation massive de la force de travail locale. Il réduit la dépendance aux engins lourds, maximise les salaires directs et irrigue rapidement les économies villageoises, observent les techniciens de l’ONG Niosi, coordinatrice des opérations.
Chaque ouvrier touche l’équivalent de 3 000 FCFA par jour, renvoyant un flux monétaire dans les échoppes. La rotation par équipes évite l’épuisement et permet à 60 % de femmes d’occuper les postes, une proportion rare dans les projets d’infrastructures rurales.
Femmes sur le terrain : un tournant culturel
À Odziba, Gisèle, 27 ans, manie la pelle douze jours par mois. « J’ai suspendu la vente de manioc pour venir ici ; je gagne le double et je reste près de mes enfants », confie-t-elle, le visage strié de sable.
Longtemps cantonnées aux cuisines de chantier, les travailleuses occupent désormais des fonctions de cheffe d’équipe, métreuse ou animatrice environnementale. Cette mobilité ascendante, saluée par l’administrateur local, nourrit un sentiment nouveau d’autonomie économique et de visibilité sociale.
Assainir pour prévenir les violences sexistes
Les violences sexistes s’exacerbent souvent dans les zones où l’obscurité, l’insalubrité et l’oisiveté dominent, rappelle la sociologue Aimée Loussou. En éclairant les chemins, en drainant les eaux stagnantes et en créant des revenus, le chantier réduit des facteurs de risque structurels.
L’ONG Niosi a intégré une cellule de sensibilisation quotidienne. À la pause méridienne, les animateurs diffusent des messages sur le consentement, la santé reproductive et la gestion des conflits domestiques. « Notre salaire ne vaudrait rien si les maisons restaient dangereuses », résume Yvette, ouvrière et mère de trois filles.
Un partenariat public-privé d’intérêt local
Le Programme alimentaire mondial assure la logistique des vivres pour les équipes, tandis que les autorités préfectorales sécurisent les sites. Cette articulation illustre le rôle des partenariats dans l’atteinte des Objectifs de développement durable numéro 5 et 11, notent des experts du PNUD.
Le préfet insiste : « La lutte contre les effets climatiques doit embarquer tout le monde, surtout les jeunes et les femmes, moteurs de notre résilience », déclare-t-il. Ses mots traduisent l’adhésion institutionnelle sans laquelle la durabilité resterait théorique.
Des infrastructures à haute valeur sociétale
Outre le curage des caniveaux, le projet réhabilite trois points d’eau, construit deux latrines publiques et stabilise 18 kilomètres de pistes agricoles. Ces ouvrages facilitent l’acheminement du manioc, de l’arachide et des produits forestiers non ligneux, essentiels aux revenus féminins.
La réfection d’un marché couvert à Inoni plateau permettra aux vendeuses de disposer d’étals hygiéniques et de toilettes séparées, réduisant les incidents d’agressions nocturnes signalés l’an dernier par la gendarmerie.
Formation et transfert de compétences
Chaque équipe bénéficie de modules sur la maçonnerie écologique, la plantation d’espèces endémiques et la gestion communautaire de l’eau. Odile, diplômée en biologie, supervise la pépinière qui fournira cinq mille plants de Moringa et d’Acacia pour le reboisement des talus.
Ces savoirs seront capitalisés par les comités villageois de développement, garants de l’entretien post-chantier. « Nous sommes payés pour apprendre et rester acteurs après le départ des experts », témoigne Josephine, présidente d’un groupement féminin.
Indicateurs de succès et perspectives
Selon le chronogramme, cinquante jours suffiront pour finaliser les ouvrages prioritaires. Un système de suivi participatif collecte déjà des données sur la fréquentation des points d’eau, la réduction des cas de paludisme et l’évolution des revenus ménagers.
Les rapports initiaux montrent une hausse de 18 % des recettes des vendeuses de vivres frais. La fréquentation scolaire des filles progresse de cinq points, les mères disposant de moyens pour acheter fournitures et uniformes, relève le chef de zone pédagogique d’Odziba.
La question du long terme
Les acteurs locaux s’accordent : la pérennité dépendra de l’entretien des ouvrages et de nouvelles vagues de formation. Une ligne budgétaire communale est déjà envisagée pour financer l’achat d’outils et la rotation de brigades d’assainissement.
« Nous souhaitons institutionnaliser ces activités comme un service public, afin de maintenir l’emploi féminin et prévenir la recrudescence des déchets », explique Jean-Baptiste Ndinga, président du conseil de district.
Vers un modèle réplicable
Les succès observés au Djoué-Léfini attirent l’attention des districts voisins de Ngo et Loudima, qui envisagent de dupliquer l’approche Himo. La Banque mondiale évoque la possibilité d’étendre Proclimat à dix nouvelles zones avant 2026, priorité donnée aux territoires à forte vulnérabilité climatique.
La transversalité genre-climat emploi séduit les bailleurs, note la chercheuse Mireille Mafoua. « Elle prouve que l’adaptation ne se réduit pas à la technique ; elle touche la gouvernance sociale », analyse-t-elle.
Regards croisés des bénéficiaires
Dans le marché d’Inoni falaise, Alphonsine vend ses légumes en proclamant « les caniveaux ne débordent plus, je gagne une heure sur le trajet et j’ai recruté ma nièce ». Le témoignage illustre la diffusion des gains au-delà des titulaires de contrats.
Chez les hommes aussi, les perceptions évoluent. Marcel, agriculteur, trouve « normal que les femmes portent la brouette, cela prouve qu’elles ont la même force mentale ». Une rupture symbolique dans un espace rural encore marqué par des représentations de genre traditionnelles.
Une dynamique alignée sur la vision nationale
Les orientations du Plan national de développement 2022-2026 placent l’inclusion et la résilience climatique au cœur des priorités. Les travaux Himo du Djoué-Léfini s’inscrivent dans cette feuille de route, tout en répondant aux attentes locales de dignité économique.
« Les programmes structurants doivent dialoguer avec les réalités de terrain », rappelle une note conjointe des ministères des Affaires sociales et de l’Environnement, soulignant l’importance des retombées pour les populations vulnérables.
Enjeux de gouvernance et de participation citoyenne
Les comités de quartier assurent la médiation entre ouvriers, techniciens et notables. Cette gouvernance de proximité limite les conflits et renforce la transparence sur la répartition des tâches et des salaires, expliquent les animateurs de Niosi.
Des registres publics affichent chaque soir les noms des personnes payées, pratique qui réduit les risques de détournements et consolide la confiance dans les institutions locales, condition d’un développement durable.
Rôle des médias et de la société civile
La couverture régulière des radios communautaires permet de suivre l’avancement des travaux et de relayer les messages de prévention des violences sexistes. Les émissions interactives donnent la parole aux ouvrières, accentuant leur visibilité.
Les associations féminines de Brazzaville prévoient une mission d’appui juridique pour accompagner les bénéficiaires dans la formalisation de groupements économiques post-chantier, afin de pérenniser les revenus et l’entraide.
Une expérience inspirante
En articulant assainissement, lutte climatique et empowerment féminin, le Djoué-Léfini propose un modèle sociétal équilibré. Les premiers résultats attestent qu’un chantier peut être à la fois productif, inclusif et protecteur des droits des femmes.
Face à l’ampleur des défis environnementaux, cette alliance entre institutions publiques, bailleurs internationaux et communautés locales montre qu’une réponse collective et coordinée reste la voie la plus prometteuse pour améliorer durablement les conditions de vie.











