Un rendez-vous culturel au rayonnement panafricain
Lorsque le président Denis Sassou Nguesso a proclamé, le 19 juillet, l’ouverture officielle du douzième Festival panafricain de musique, la salle du Palais des Congrès a résonné d’un enthousiasme à la mesure des attentes. En dépit d’un contexte économique exigeant, Brazzaville réaffirme sa vocation de capitale culturelle, rappelant l’héritage du Congo dans la célébration des arts musicaux. Institutionnalisé depuis 1996, le Fespam constitue en effet un espace-pilote de mutualisation des talents, un forum où se cristallisent les influences esthétiques issues des cinq régions africaines et de leurs diasporas.
Entre art et économie créative numérique
Placée sous le thème « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique », cette édition explore la dialectique entre expression artistique et chaînes de valeur technologiques. Les ateliers et panels établissent un lien direct entre la monétisation en ligne, les droits d’auteur dématérialisés et la montée en puissance des plateformes de streaming. Selon la ministre de la Culture, Lydie Pongault, « la culture reste un capital immatériel dont la conversion économique passe désormais par le numérique ». Cette orientation rejoint les objectifs nationaux de diversification économique, lesquels entendent réduire la dépendance aux hydrocarbures en consolidant les filières créatives.
La présence d’experts en propriété intellectuelle, de start-ups congolaises spécialisées dans les services de paiement mobile, ainsi que de responsables de sociétés de gestion collective, témoigne d’une vision pragmatique : faire de la musique non seulement un vecteur de cohésion sociale, mais également un levier de croissance inclusive. La mise en réseau d’opérateurs venus du Cameroun, du Ghana ou du Rwanda rappelle que l’Afrique subsaharienne représente aujourd’hui le marché numérique à la plus forte progression mondiale en pourcentage de nouveaux abonnés, une donnée corroborée par les estimations récentes de l’Union africaine des télécommunications.
Diplomatie culturelle et cohésion sociale
Au-delà des rendements attendus en matière d’emplois et de recettes, le Fespam remplit une fonction symbolique de diplomatie publique. Les quatorze délégations présentes constituent une mosaïque d’identités sonores, rendant audible la diversité du continent. Du kwassa-kwassa revisité par un orchestre angolais à la trap éthiopienne teintée de sonorités ancestrales, chaque prestation engage un dialogue interculturel qui dépasse les clivages géopolitiques. Les corps diplomatiques accrédités à Brazzaville, nombreux dans l’auditoire, mesurent l’impact de ces échanges comme de véritables instruments d’influence douce, utiles à la stabilisation des espaces centrafricains.
Dans les couloirs du Palais des Congrès, les responsables d’instituts culturels étrangers soulignent le rôle catalyseur du festival : « Le Fespam est un laboratoire d’idées pour des coopérations Sud-Sud, mais aussi Nord-Sud », confie un conseiller de l’Organisation internationale de la Francophonie. À l’heure où plusieurs pays du continent doivent relever des défis sécuritaires, la musique fait office de langage partagé, fédérant artistes et publics autour de références communes, tout en valorisant l’unité nationale prônée par les autorités congolaises.
Une programmation resserrée, des ambitions intactes
Le commissaire général, Hugues Ondaye, a rappelé que cette douzième édition se déroule en « format réduit ». La conjonction d’ajustements budgétaires et des impératifs sanitaires hérités des récentes crises a conduit à limiter la participation à quatorze pays contre une trentaine lors de cycles précédents. Pourtant, la densité artistique demeure : plus de cinquante concerts, plusieurs résidences de création et un concours de jeunes talents rythment la semaine. En parallèle, le Marché des musiques d’Afrique centrale offre aux producteurs locaux la possibilité de contractualiser avec des tourneurs européens ou asiatiques, preuve que l’attractivité du Fespam dépasse la seule dimension festive.
Brazzaville capitalise également sur l’infrastructure modernisée de la nouvelle Cité de la Culture, inaugurée l’an dernier. Studios d’enregistrement haute définition, salles immersives de réalité augmentée et pôles de formation en ingénierie sonore complètent désormais l’offre. Cette mutualisation d’équipements publics et privés accroît la compétitivité de la filière et répond aux exigences techniques des artistes contemporains. Ainsi, le choix d’un format plus concentré apparaît moins comme une restriction que comme une stratégie de qualité, destinée à maximiser la visibilité internationale des créateurs.
Perspectives futures pour l’industrie musicale congolaise
En filigrane du festival, les autorités congolaises aspirent à transformer l’effervescence artistique en écosystème durable. Les discussions tenues lors du Forum économique du Fespam convergent vers un même constat : la priorité est à la structuration juridique et fiscale des métiers de la musique. Un avant-projet de loi sur le statut de l’artiste, actuellement à l’étude, devrait faciliter l’accès au crédit, encourager l’entrepreneuriat culturel et renforcer la protection sociale des créateurs, autant de mécanismes qui s’alignent sur la Vision 2025 du développement national.
Dans une allocution de clôture provisoire, le ministre des Finances a rappelé que les revenus générés par le secteur culturel représentaient déjà 3 % du PIB non pétrolier, un ratio susceptible de doubler à moyen terme à la faveur de l’émergence des plateformes de distribution numérique. Les partenaires techniques et financiers, notamment la Banque africaine de développement, ont salué la cohérence de cette démarche. La dynamique induite par le Fespam, conjuguée à un cadre réglementaire modernisé, pourrait positionner le Congo comme un hub régional de l’industrie musicale, tout en confortant la place de Brazzaville dans la cartographie des événements culturels majeurs du continent.