Contexte numérique sous tension
Le flux informationnel congolais n’a jamais été aussi dense. Selon l’Observatoire francophone des usages numériques, le taux de pénétration des réseaux sociaux a dépassé 43 % en 2024. Cette massification ouvre de nouvelles arènes pour la conversation civique mais aussi pour la manipulation.
Le chercheur Didier Massounga rappelle que « les plateformes importent des conflictualités étrangères et les reconfigurent localement ». Dans la région, la recrudescence de faux comptes propageant des rumeurs électorales et des attaques sexistes confirme l’ampleur du défi sécuritaire et sociétal.
Un axe parlementaire renforcé
Le 21 août, le sénateur Aristide Ngama Ngakosso et l’ambassadrice Claire Bodonyi ont entériné la mise en œuvre du mémorandum de 2024. Pour la première fois, la notion de « sécurité informationnelle » est inscrite à l’agenda de la coopération entre les deux assemblées nationales.
Concrètement, les groupes d’amitié prévoient des séances de travail trimestrielles, l’échange de notes de situation et la création d’un canal chiffré de remontée d’alertes. L’ambition est de doter les élus d’outils d’analyse et de réaction rapides face aux récits trompeurs.
Des campagnes aux ressorts sexistes
Les services français ont documenté des opérations pilotées depuis l’étranger, mêlant narratifs prorusses ou pro-azéris à des stratégies genrées. Brigitte Macron a ainsi fait l’objet d’une rumeur transphobe, tandis qu’à Brazzaville la diplomate Françoise Joly a subi d’intenses attaques à connotation sexuelle.
« La désinformation vise en priorité les symboles féminins, car leur crédibilité s’appuie souvent sur une réputation morale », analyse la politologue Rachel Souanga. En délégitimant les femmes visibles, les opérateurs affaiblissent l’ensemble du débat public qu’ils cherchent à fracturer.
Les organisations congolaises de défense des droits des femmes pointent un continuum entre violences numériques et violences physiques. Elles appellent à reconnaître ces actions comme des atteintes aux droits humains, passibles de poursuites, et non comme de simples dérives du web.
Le dispositif technique franco-congolais
En France, VIGINUM cartographie les réseaux, attribue les campagnes et propose des contre-narratifs aux plateformes. À Brazzaville, le Conseil supérieur de la liberté de communication coordonne depuis 2023 un centre de veille spécialement activé lors des fenêtres électorales.
La nouveauté réside dans la passerelle automatique entre les deux structures. Un protocole d’échange de métadonnées anonymisées permet d’identifier plus vite les comptes suspects opérant entre Pointe-Noire, Kinshasa et Paris. Les équipes partagent aussi des gabarits de riposte, adaptés au contexte linguistique local.
La gendarmerie numérique congolaise a, de son côté, formé trente enquêteurs aux standards européens de préservation de la preuve numérique. Cette montée en compétence, saluée par l’Union africaine, renforce la judiciarisation des dossiers sensibles, notamment ceux impliquant des menaces sexistes.
Enjeux démocratiques de l’échéance 2026
Les listes électorales doivent être révisées à l’automne 2025, jalon critique pour la transparence du scrutin. Historiquement, c’est le moment où les infox sur la nationalité des candidats, la validité des cartes ou la moralité des scrutateurs circulent le plus rapidement.
Les experts redoutent une vague de deepfakes ciblant les principales figures politiques, mais aussi des militantes influentes sur TikTok. Le spécialiste français Antoine Delcourt observe déjà « des essais de clonage vocal en lingala et en kituba, signe d’une préparation sophistiquée ».
Face à ces scénarios, le binôme Paris-Brazzaville mise sur la pédagogie. Des capsules vidéo expliquant le fonctionnement de la Commission électorale, doublées en langues locales, seront diffusées avant chaque étape du calendrier, afin de créer un référentiel factuel accessible.
Former et protéger les voix féminines
Plusieurs rédactions brazzavilloises ont intégré une charte de modération spécifique aux contenus sexistes, élaborée avec l’association Femmes Éveilleuses. Des ateliers de « cyber-hygiène » réunissent journalistes, avocates et créatrices de contenus pour apprendre à sécuriser comptes, données et réputation.
La Commission nationale des droits de l’homme encourage désormais les plateformes à appliquer sans délai leurs politiques contre la misogynie. Selon la juriste Clarisse Makaya, « la rapidité de retrait conditionne le bien-être psychologique des victimes et la crédibilité des institutions ».
Une coopération appelée à durer
Au-delà de 2026, la feuille de route prévoit la création d’un observatoire conjoint des imaginaires sexistes, hébergé à l’université Marien Ngouabi. L’objectif est d’étudier l’impact des infox genrées sur la participation politique des femmes et de recommander des politiques publiques adaptées.
Pour le sénateur Ngama Ngakosso, « consolider la confiance, c’est protéger la parole libre et responsable ». En articulant expertise technique, dialogue parlementaire et vigilance sociétale, Paris et Brazzaville esquissent une défense numérique qui pourrait inspirer d’autres partenariats sur le continent.











