Un jalon éditorial pour la doctrine congolaise
Vingt ans après une première publication devenue introuvable, la seconde édition du « Droit administratif congolais » paraît aux Presses universitaires de Brazzaville et s’impose immédiatement comme un repère doctrinal. Ses 457 pages, rédigées par le professeur Placide Moudoudou, agrégé de droit public et juge à la Cour constitutionnelle, donnent à voir la trajectoire d’un droit en quête de pertinence face aux exigences démocratiques contemporaines. L’effort de systématisation qu’il propose participe d’une volonté plus large : doter la République du Congo de références scientifiques locales capables de dialoguer avec la doctrine francophone majeure tout en valorisant la spécificité de l’expérience congolaise.
Du manuel au traité critique : une évolution assumée
Alors que la première édition se voulait un simple outil pédagogique, cette version 2023 franchit un seuil épistémologique. Nous passons d’un commentaire linéaire de textes à une réflexion problématisée, nourrie par la jurisprudence la plus récente du Conseil d’État et de la Cour constitutionnelle. Le professeur Moudoudou mobilise ici la méthode fonctionnelle chère à la science administrative : il décrit la norme, l’illustre par la pratique et en évalue la portée sur le terrain institutionnel. À travers ce passage, l’auteur prend acte de la maturité d’un public désormais composé d’enseignants-chercheurs, de magistrats et de décideurs politiques soucieux d’inscrire la décision publique dans un cadre juridiquement sécurisé.
Ordre public et libertés : un nouvel équilibre
Thème central de l’ouvrage, la dialectique entre ordre public et libertés individuelles est revisitée à l’aune de la Constitution de 2015. L’administration congolaise, explique l’auteur, n’est plus seulement la gardienne d’une sécurité matérielle ; elle devient garante d’une sécurité juridique qui inclut la protection des droits fondamentaux. La multiplication des requérants – associations, collectivités locales, citoyens agissant in personam – traduit un changement d’anthropologie politique : le sujet administratif cède la place à l’acteur civique. Pour le professeur Moudoudou, cette inflexion s’ancre dans la montée en puissance du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence, technique faisant office de pont entre les impératifs de police et les exigences de liberté.
La décentralisation en chantier permanent
Adoptée au début des années 1990, confirmée en 2003 et approfondie par les lois organiques de 2017, la décentralisation congolaise n’est plus un horizon lointain mais une réalité administrative en construction. L’auteur met en lumière le double mouvement qui structure ce chantier : autonomisation progressive des collectivités territoriales et persistance d’une tutelle étatique garante de l’unité nationale. Il montre comment les transferts de compétences demeurent conditionnés par la capacité financière locale et par l’accompagnement technique de l’État. S’appuyant sur des décisions récentes invalidant certains actes préfectoraux, l’ouvrage souligne la résilience d’un contrôle de légalité indispensable pour prévenir la fragmentation normative.
Un contentieux administratif en pleine maturité
Le lecteur découvre une justice administrative qui assume désormais son rôle de contre-pouvoir. La création, en 2013, de chambres spécialisées au sein de la Cour suprême a stimulé la production de standards de motivation et raccourci les délais de jugement. Selon l’auteur, cette modernisation a été possible grâce à l’introduction des techniques de référé et à la formation continue des magistrats, soutenues par des partenariats internationaux. Le livre met en exergue la montée en puissance de la responsabilité sans faute de l’État, particulièrement dans les domaines de la santé et des infrastructures, signe d’une administration disposée à assumer les risques sociaux de l’action publique.
Enjeux démocratiques et responsabilité publique
Au-delà de la technicité juridique, l’ouvrage offre une grille de lecture politique. Le droit administratif, soutient le professeur Moudoudou, constitue l’un des vecteurs de consolidation de l’État de droit congolais. Parce qu’il encadre la décision publique, il favorise la prévisibilité de l’action gouvernementale et renforce la confiance des citoyens. L’auteur insiste par exemple sur la place croissante accordée aux procédures participatives dans l’élaboration des règlements municipaux, reflet d’une gouvernance plus inclusive. Ce tournant procédural nourrit, selon lui, la légitimité des institutions et participe de la stabilité recherchée tant par les acteurs nationaux que par les partenaires internationaux.
Un outil stratégique pour les décideurs
Destiné d’abord aux juristes, l’ouvrage dépasse cependant le cercle académique. Les décideurs publics y trouveront un inventaire raisonné des marges de manœuvre institutionnelles et un tableau synthétique des contraintes nouvelles imposées par la densification normative. Dans le contexte d’une économie tournée vers la diversification, la sécurité juridique devient un facteur d’attractivité, et le droit administratif un levier stratégique. La réédition du professeur Moudoudou arrive donc à point nommé pour éclairer, sans polémique, les choix politiques à venir en matière de réforme de l’État, de partenariat public-privé et de modernisation des services.