Publié par 19h01 Actualités

Lissolo 2.0 : le jeu congolais anti-écrans

Une initiative ludique au service de la culture

Sur une table basse de Makélékélé, des enfants rient en faisant tourner un dé rouge vif : ils testent Lissolo 2.0, nouveau jeu de société conçu par la communicante congolaise Kris Brochec. Derrière ce plateau coloré se cache une ambition : faire voyager la culture nationale.

Présenté le 29 août à Brazzaville lors des « Lissolo Days », ce dispositif de 350 cartes et 1 200 questions aborde l’Histoire, la citoyenneté, l’économie ou encore la biodiversité, autant de champs souvent absents des loisirs numériques prisés par la jeune génération.

Transmission intergénérationnelle et citoyenneté

Pour Kris Brochec, « aimer son pays commence par connaître son histoire ». La citation, soigneusement répétée durant la conférence de presse, résume la philosophie d’un jeu qui veut concurrencer les écrans en favorisant la conversation, la curiosité et l’apprentissage coopératif.

Sept thématiques structurent la partie : Histoire et géographie, Éducation civique, Art et culture, Économie, Nouvelles technologies, Sports, Loisirs et tourisme, sans oublier Faune et flore. Chaque case invite le joueur à répondre, à raconter un souvenir ou à proposer une solution collective.

À la différence d’un questionnaire magistral, Lissolo 2.0 valorise la parole des plus jeunes. Les règles prévoient qu’un adulte ne puisse donner qu’un indice. Ce renversement de posture place l’enfant au centre, encourageant la confiance en soi, essentielle dans la prévention des violences sexistes.

Impact mesuré dans les salles de classe

Dans les établissements scolaires pilotes de Moungali, les instituteurs constatent déjà une amélioration de l’expression orale. « Les élèves citent la date de l’indépendance sans hésiter », sourit la directrice Natacha Ossiala, rappelant qu’une mémoire historique solide contribue à la formation d’un citoyen capable de défendre ses droits.

Le jeu se veut également inclusif. Les cartes intègrent des références à des figures féminines telles que la cheffe d’entreprise Nathalie Makosso ou la sprinteuse Marie-José Ta Lou, modélisant des exemples de leadership pour les adolescentes souvent en quête de repères positifs.

Design local et modèle économique durable

Élaborée avec de jeunes étudiants en design graphique de l’Université Marien-Ngouabi, la conception visuelle mêle bakongo, textile téké et motifs urbains. Ce dialogue esthétique souligne l’idée d’un Congo pluriel, moderne et ancré dans ses traditions, message collectif régulièrement soutenu par les autorités culturelles.

Au plan entrepreneurial, Kris Brochec revendique un modèle économique durable : production locale, matières recyclables, prix plafonné à 25 000 FCFA pour rester accessible. La démarche s’inscrit dans les politiques publiques de diversification de l’économie créative prônées par le ministère des Industries culturelles.

La jeune femme explique avoir été inspirée par le Trivial Pursuit, populaire dans les années 1990 à Pointe-Noire, et par les soirées Monopoly familiales : « Je voulais un jeu où la case Mémoire du Congo remplace la Rue de la Paix », confie-t-elle, sourire espiègle.

Perspectives panafricaines et enjeux du marché

Au-delà du marché national, la marque prépare Lissolo Teranga pour le Sénégal et Lissolo Ivoire pour la Côte d’Ivoire. Un opus dédié à l’égalité et au leadership féminin, développé avec des associations panafricaines, est également annoncé, reflétant la montée en puissance de l’entrepreneuriat social.

Les analystes du cabinet Afric’Games estiment le marché africain des jeux éducatifs à plus de 80 millions de dollars annuels. Pour réussir, expliquent-ils, un produit doit conjuguer pertinence culturelle, design attractif et distribution rigoureuse, trois critères que Lissolo 2.0 entend satisfaire.

Cependant, la production locale demeure confrontée à la hausse du coût du carton et à la concurrence des importations asiatiques. Kris Brochec négocie avec des imprimeurs de Talangaï pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement et préserver l’emploi, considérant que chaque boîte vendue crée trois emplois indirects.

Le volet sensibilisation, prévu dès septembre, passera par des ateliers dans les centres culturels, des tournois inter-lycées et des partenariats avec le corps diplomatique. L’objectif est d’atteindre 5 000 parties avant fin d’année, afin de mesurer l’impact sur la connaissance du patrimoine national.

Vers un empowerment féminin par le jeu

Pour la sociologue Clarisse Bemba, « ce type d’outil ludique renforce l’estime de soi collective ». Elle souligne que la fierté identitaire constitue un facteur de résilience face aux inégalités de genre : les filles qui connaissent les héroïnes nationales se projettent plus aisément dans des carrières d’influence.

Lissolo 2.0 arrive ainsi à la croisée des chemins : instrument de divertissement, support pédagogique et vecteur d’empowerment féminin. Ses créateurs misent sur une distribution hybride, boutiques physiques et e-commerce, pour toucher la diaspora congolaise avide de références culturelles authentiques.

Dans le rire des joueurs, certains entendent déjà l’écho de proverbes langsonko. D’autres y voient un premier pas vers la constitution d’un musée ludique du Congo. Tous s’accordent : une partie suffit à rappeler que le patrimoine n’est pas un catalogue figé mais un récit vivant à partager.

Si la route reste longue, l’élan semble enclenché. Le plateau Lissolo 2.0, déjà repéré par plusieurs librairies de Kinshasa et Libreville, illustre la capacité des créateurs congolais à tisser des ponts entre savoirs locaux et innovation au bénéfice de la prochaine génération.

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Étiquettes : , , , , Last modified: 30 août 2025
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