Un axe minier stratégique au cœur du corridor atlantique
Le tronçon ferroviaire reliant Mayoko, dans le département du Niari, au port en eaux profondes de Pointe-Noire constitue depuis plusieurs décennies l’une des artères logistiques les plus sensibles du Congo-Brazzaville. Conçu à l’origine pour drainer les productions forestières et agricoles vers l’océan, le Chemin de fer Congo-Océan (Cfco) se voit aujourd’hui placé au service d’un ambitieux programme de valorisation du minerai de fer, ressource abondante mais encore faiblement transformée localement. À la faveur de la convention paraphée le 18 juillet par le directeur général du Cfco, Ignace N’Ganga, et son homologue d’Ulsan Mining Congo, Vakkas Karaoğlu, ce corridor, long d’environ 285 kilomètres, entre dans une nouvelle phase de modernisation technique.
De la rénovation des voies à l’acquisition de locomotives
Avec un enveloppe de 737 millions d’euros, le plan d’investissement porte d’abord sur la réhabilitation complète de la superstructure ferroviaire, dont le ballast et les traverses accusent l’usure du temps et les aléas climatiques équatoriaux. Selon les termes du contrat, vingt locomotives diesel-électriques de nouvelle génération, capables de tracter de lourds convois sur les pentes de la chaîne du Mayombe, seront livrées d’ici à 2026, accompagnées de plus de trois cents wagons spécialisés. Les ateliers de maintenance de Hinda, aujourd’hui saturés, feront l’objet d’une extension afin de réduire les immobilisations techniques et de garantir un taux de disponibilité supérieur à 90 %. « Ces accords augurent de bonnes perspectives pour les cheminots et pour les communautés riveraines », a souligné Ignace N’Ganga, insistant sur la nécessité d’une montée en compétence locale.
Vers une industrialisation endogène de la filière fer
Au-delà du seul transport, la dimension industrielle du partenariat retient l’attention des économistes. Ulsan Holding annonce l’implantation, à moyen terme, d’une fonderie à Pointe-Noire pour un montant estimé à deux milliards de dollars. L’objectif est de produire des billettes et des aciers spéciaux destinés aux marchés régionaux, réduisant la dépendance aux importations et la fuite de valeur ajoutée. Pour la ministre des Transports, Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas, « la transformation locale du minerai est conforme à la feuille de route gouvernementale en matière de diversification économique ». La future unité métallurgique devrait générer plusieurs centaines d’emplois directs et favoriser l’émergence d’un tissu de sous-traitance nationale.
Retombées socio-économiques sur la dorsale Niari-Kouilou
L’impact territorial d’un tel chantier est d’ores et déjà perceptible. Les localités de Madingou, Dolisie ou Hinda, jadis enclavées, voient se multiplier les petites entreprises de services, tandis que l’accès des populations aux produits de première nécessité se trouve facilité par la fluidité attendue du trafic. Selon une estimation du Centre d’analyse et de prospective économique de Brazzaville, la réhabilitation de la voie pourrait accroître de 1,2 point la croissance régionale annuelle au cours des cinq prochaines années. Les ONG locales insistent toutefois sur la nécessité d’un mécanisme de suivi environnemental pour préserver la biodiversité du massif du Mayombe, considéré comme un haut lieu de conservation.
Financement et gouvernance : un modèle hybride
Le montage financier repose sur un schéma de partenariat public-privé où le Cfco conserve la propriété du réseau, tandis qu’Ulsan Mining assure la maîtrise d’ouvrage et la recherche des lignes de crédit auprès d’institutions turques et de banques multilatérales. Ce dispositif, qui répartit les risques entre secteur public et capital privé, s’inscrit dans les orientations du Plan national de développement 2022-2026. Pour Bocar Maïga, membre du conseil d’administration d’Ulsan Holding, « l’alliance entre nos deux pays démontre qu’une approche concertée permet de mobiliser d’importants flux financiers sans peser outre mesure sur la dette publique ». La Cour des comptes congolaise sera associée au contrôle de l’exécution, gage de transparence pour les bailleurs.
Un jalon de la diplomatie économique Congo-Turquie
L’accord ferroviaire s’inscrit enfin dans la dynamique bilatérale impulsée par les présidents Denis Sassou Nguesso et Recep Tayyip Erdoğan, qui ont fait de la coopération Sud-Sud un levier majeur de leurs politiques extérieures respectives. Après la convention minière de 2024 et l’inauguration récente d’une ligne aérienne Istanbul-Pointe-Noire, ce nouveau projet consolide un partenariat qualifié de « gagnant-gagnant » par les chancelleries. En mobilisant expertise technique, capitaux privés et vision stratégique, Brazzaville entend démontrer sa capacité à attirer des investissements structurants tout en préservant sa souveraineté. Le chantier, prévu pour s’achever en 2027, servira de test grandeur nature pour la diplomatie économique congolaise dans un contexte sous-régional marqué par la compétition pour les infrastructures logistiques.
Perspectives et signaux d’alerte
Si les indicateurs macroéconomiques laissent entrevoir une amélioration sensible de la balance commerciale dès la mise en service de la fonderie, les spécialistes rappellent que la réussite du projet dépendra de la résilience du Cfco, confronté depuis des années à des difficultés de gouvernance et de maintenance. La sécurisation des voies, la formation du personnel et la disponibilité des pièces détachées constituent des défis permanents. Les autorités ont annoncé la création d’un comité interministériel chargé d’examiner trimestriellement l’avancement des travaux et de proposer d’éventuelles mesures correctives. À terme, la ligne Mayoko-Pointe-Noire pourrait s’inscrire dans un réseau élargi vers le Cabinda et la République démocratique du Congo, donnant au pays une vocation logistique régionale accrue.