Publié par 14h54 Actualités

Mbongui 2024 : l’innovation au féminin déplace les lignes

Un forum devenu baromètre sociétal

Derrière l’apparente routine des calendriers institutionnels, la cinquième édition du Mbongui de la Femme Africaine, organisée fin juillet à Brazzaville, s’est imposée comme un véritable thermomètre des rapports de genre au Congo. En prenant la parole devant un auditoire composite – universitaires, start-uppeuses, représentantes d’ONG et bailleurs internationaux – le ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation technologique, Rigobert Maboundou, a confirmé la volonté gouvernementale d’arrimer la politique publique aux Objectifs de développement durable et à l’Agenda 2063 de l’Union africaine. « Soutenir les femmes, c’est fortifier la souveraineté économique du continent », a-t-il déclaré, reprenant à son compte un axiome désormais consensuel dans les cercles de la coopération multilatérale.

L’égalité de genre comme vecteur de compétitivité nationale

Au-delà de la rhétorique, l’ancrage de l’égalité femmes-hommes dans la stratégie congolaise d’innovation renvoie à un triple impératif. Sur le plan économique, la diversification post-pétrole oblige à mobiliser toutes les ressources humaines disponibles. Les études de la Banque africaine de développement estiment qu’une pleine participation des femmes aux filières STEM pourrait ajouter jusqu’à deux points de croissance annuelle aux pays d’Afrique centrale. Sur le plan social, l’urbanisation rapide de Brazzaville et de Pointe-Noire requiert de nouvelles formes d’insertion professionnelle pour juguler les disparités. Enfin, sur le plan symbolique, offrir des rôles modèles féminins dans la recherche permet de reconfigurer un imaginaire national marqué par la figure masculine du savant-administrateur hérité de la période post-coloniale.

Le hackathon, laboratoire d’empowerment

Le hackathon réservé à vingt-deux porteuses de projet, point fort de cette édition, illustre la mutation d’un simple colloque en espace expérimental. Pendant quarante-huit heures, des équipes composées de programmeuses, de sociologues et de marketeuses ont planché sur des solutions liées à la cybersécurité domestique ou à la traçabilité agricole. Loin de la mise en scène folklorisante longtemps associée aux rencontres féminines, ces ateliers se sont déroulés sous l’œil attentif de coaches issus des incubateurs locaux. « Nous ne voulons plus être un appendice de la politique de l’emploi, mais le moteur même de l’innovation », confiait Splendide Lendongo Gavet, présidente d’Elite Women’s Club et instigatrice du Mbongui, soulignant la simultanéité de l’événement avec la Journée internationale de la femme africaine.

Une juridicisation citoyenne inédite

Autre innovation significative : la mise en place d’un tribunal citoyen des femmes, dispositif pédagogique dans lequel des étudiantes en droit simulent un procès lié à la cyber-criminalité. L’initiative, inspirée des cliniques juridiques anglophones, vise à démocratiser la culture judiciaire tout en sensibilisant à l’économie numérique. Les magistrats invités ont rappelé que la recrudescence des délits informatiques touche de manière disproportionnée les entrepreneuses, souvent premières victimes de fraude financière ou d’atteintes à la e-réputation. Par ce biais, le forum dépasse la simple louange des talents féminins pour interroger les structures de pouvoir qui conditionnent leur accès aux marchés.

Un positionnement diplomatique assumé

Sur le plan international, le ministère de la Recherche mise sur ces plateformes pour renforcer la marque pays. Dans un contexte régional où la compétition pour les financements verts s’accélère, afficher une gouvernance inclusive constitue un argument de crédibilité. Brazzaville se présente de plus en plus comme « capitale-pont » entre l’Afrique centrale et les réseaux de la Francophonie scientifique. La récente adhésion du Congo à l’initiative panafricaine AfriLabs, annoncée en marge du Mbongui, illustre cette stratégie d’arrimage aux chaînes de valeur globales de l’économie du savoir.

Des attentes sociétales encore fortes

Pour autant, les acteurs de la société civile gardent un œil critique sur la mise en œuvre des engagements. Les associations féministes rappellent que le budget alloué à l’innovation demeure inférieur à 1 % du PIB, loin de l’objectif de 3 % recommandé par l’Unesco. Elles soulignent également l’importance d’une territorialisation des politiques publiques afin de ne pas cantonner l’innovation aux seuls grands centres urbains. Le ministre Maboundou a d’ores et déjà annoncé une tournée prospective dans les départements du Niari et de la Sangha pour identifier des pôles d’excellence ruraux.

Vers une gouvernance de l’inclusion

En définitive, le Mbongui de la Femme Africaine révèle une dynamique où la thématique de genre agit comme catalyseur d’une réflexion plus large sur la gouvernance et la compétitivité nationales. La combinaison d’outils participatifs – hackathon, tribunal citoyen, sessions de pitch – et de discours politiques volontaristes traduit la maturation d’un écosystème qui souhaite conjuguer performance économique et cohésion sociale. Reste à transformer l’effervescence événementielle en politiques structurelles dotées d’indicateurs clairs. À cette aune, la capacité des institutions à pérenniser le financement des start-ups féminines et à sécuriser leur accès aux marchés régionaux constituera sans doute le test décisif des ambitions affichées à Brazzaville.

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Étiquettes : , , Last modified: 2 août 2025
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