Publié par 11h49 Actualités

Mort de Déo Namujimbo : plume pour la vérité

Une disparition qui attriste la diaspora congolaise

La nuit du 31 août, la voix familière de Déo Namujimbo s’est éteinte à Vigneux-sur-Seine. Conteur du Sud-Kivu naturalisé français, il avait choisi l’exil en 2009. Sa famille a annoncé son décès, survenu après une longue maladie, déclenchant une vague d’émotion transcontinentale.

Dans les heures qui ont suivi, les réseaux sociaux de la diaspora congolaise se sont couverts de messages d’affection. A Paris comme à Kinshasa, des associations culturelles improvisent des veillées. Les condoléances officielles s’expriment avec sobriété, soulignant une existence consacrée à la littérature et à la pédagogie.

Le deuil familial se tient au domicile francilien du défunt, tandis que l’agenda des funérailles reste à confirmer. Quelques proches envisagent un retour symbolique de l’urne au Sud-Kivu, mais aucune décision n’est arrêtée. Pour l’instant, lectures publiques et chants gospel rythment les soirées de recueillement.

Un parcours littéraire consacré aux survivantes

Journaliste formé à Bukavu, Namujimbo s’était imposé comme romancier, nouvelliste et conférencier. Ses textes explorent la résilience des communautés frontalières, souvent à travers des héroïnes confrontées aux violences sexuelles. Il disait préférer « la douceur des mots au fracas des armes » lors d’une conférence bordelaise en 2017.

En 2023, il avait coréalisé avec la journaliste Françoise Germain-Robin un volumineux essai, La grande manipulation de Paul Kagame. L’ouvrage s’appuie sur trois décennies d’archives pour décrire l’engrenage de la guerre dans l’est de la RDC et ses conséquences humanitaires, notamment sur les femmes déplacées.

Cette attention permanente aux survivantes faisait de lui une référence dans les cercles de la défense des droits des femmes. La sociologue Clarisse Mboungou rappelle que son corpus littéraire propose « une mémoire incarnée », donnant chair aux statistiques qui documentent les agressions ou les mariages forcés.

Son enquête sur les violences de l’Est congolais

Namujimbo dénonçait la récurrence des violences sexistes commises par différents groupes armés. Il liait l’exploitation minière, le déplacement des communautés et la banalisation du viol. Selon lui, l’absence de justice renforce le cycle de la terreur, une analyse partagée par le prix Nobel Denis Mukwege.

Pour étayer ses propos, il collectait des récits de survivantes dans les camps de Mugunga et de Minova. Il s’imposait une méthode journalistique rigoureuse, vérifiant les faits auprès d’aides-soignantes ou de responsables coutumiers. Les témoignages nourrissaient ensuite ses articles, ses ateliers d’écriture et ses conférences universitaires.

La sortie récente du documentaire Empire du silence de Thierry Michel l’avait encouragé à poursuivre ce travail de mémoire. Lors d’une table ronde, il saluait « une catharsis collective longtemps différée ». Son décès intervient alors que plusieurs organisations préparaient une tournée de plaidoyer conjointe en Europe.

Échos à Brazzaville : un héritage de résilience

À Brazzaville, l’annonce a trouvé un écho particulier parmi les associations féminines qui travaillent sur les violences domestiques. Sans ignorer les spécificités entre RDC et République du Congo, elles soulignent le caractère transfrontalier des discriminations de genre et la pertinence des analyses sociologiques de l’auteur.

Le Centre d’écoute Mère-Courage prévoit une soirée hommage avec lecture d’extraits de La maison des souvenirs brisés, un roman de Namujimbo peu connu du grand public. Pour la directrice Carine Samba, « sa plume rappelle que la reconstruction passe par la reconnaissance de la souffrance ».

Du côté universitaire, l’Institut congolais de recherche en sciences sociales envisage d’intégrer ses travaux dans un cours sur la narration des conflits. Les enseignants insistent sur la nécessité de former les étudiants à un journalisme sensible au genre, domaine où Namujimbo offrait, selon eux, un repère méthodologique précieux.

La société civile appelle à poursuivre son combat

Plusieurs organisations de la société civile estiment que sa disparition ne doit pas marquer un temps d’arrêt. Elles élaborent déjà un fonds documentaire regroupant ses livres, articles et interventions audio, accessible gratuitement en ligne et dans les médiathèques des principales villes congolaises, y compris Pointe-Noire et Dolisie.

Une pétition circule pour qu’un prix littéraire portant son nom distingue chaque année un écrit engagé contre les violences sexistes. Les promoteurs, regroupés autour de la plateforme Engageons-nous, affirment que la meilleure façon d’honorer l’auteur consiste à soutenir les jeunes plumes qui dénoncent l’impunité.

Contacté par téléphone, le chercheur Alain Biyela note que le contexte actuel est favorable à ce type d’initiative, car les pouvoirs publics du Congo-Brazzaville encouragent les projets de promotion culturelle. Il juge donc réaliste l’espoir d’un accompagnement institutionnel pour pérenniser la mémoire de Déo Namujimbo.

Au-delà du chagrin, la disparition de l’écrivain rappelle l’urgence d’une mobilisation durable contre les violences sexistes dans la région des Grands Lacs. Ses textes subsistent, disponibles pour inspirer des générations soucieuses de justice. Sa voix s’est tue, mais l’écho demeure, puissant et lucide.

Dans les rues de Vigneux-sur-Seine, des anonymes déposent des bougies devant son immeuble, preuve que son humanisme dépassait les frontières linguistiques. Une lectrice confie qu’elle gardera son roman Pas de prière pour les ombres « comme un manuel de courage quotidien ».

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Étiquettes : , , , , Last modified: 3 septembre 2025
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