Un terrain politique miné par la sémantique extrême
À Brazzaville, la canicule de juillet n’a pas été uniquement climatique ; elle a aussi embrasé le champ lexical. Sur les ondes d’un média étranger, le président du Rassemblement pour la démocratie et le développement, Jean Jacques Serge Yhombi Opango, a comparé l’actuel pouvoir congolais aux régimes nazi et fasciste. Il n’en fallait pas davantage pour que le Club 2002 – Parti pour l’unité et la République saisisse la dimension explosive de cette analogie, jugée historiquement inexacte et moralement offensante. Au cœur de la controverse, l’usage de références extrêmes rappelle que les mots peuvent, dans l’espace public, produire des effets politiques tangibles, parfois irréversibles.
Une riposte institutionnelle au nom de l’unité nationale
Le secrétaire général du Club 2002-PUR, Juste Désiré Mondélé, a répliqué lors d’une assemblée générale consacrée à l’appel à la candidature du président Denis Sassou N’Guesso pour l’élection de 2026. « La démocratie n’absout pas toute outrance », a-t-il martelé, dénonçant une « banalisation dangereuse » des concepts de nazisme et de fascisme. Pour les cadres du parti, ces métaphores extrêmes risquent d’attiser un ethnocentrisme latent et de mettre à mal les efforts de cohésion entrepris depuis la Conférence nationale souveraine. L’argument renvoie implicitement à la doctrine du ‘vivre-ensemble’ qui sous-tend la Constitution de 2015 et dont la majorité présidentielle se veut la garante.
Mémoire historique et responsabilité discursive
Le traumatisme universel associé aux crimes nazis confère à la comparaison un poids moral particulier. Dans l’espace francophone, la référence sert bien souvent de marqueur rhétorique ultime pour disqualifier l’adversaire. Or les spécialistes de sociologie politique rappellent que l’emprunt abusif à ces épisodes extrêmes dévalue la gravité de faits historiques tangibles et brouille la lisibilité du présent. L’historien congolais Pierre Mabiala estime que « l’amnésie n’est pas l’ennemi principal ; c’est la confusion des registres ». Autrement dit, c’est en préservant la précision terminologique que l’on protège à la fois la mémoire des victimes européennes de la Shoah et la dignité des enjeux africains contemporains.
Liberté d’expression : un équilibre subtil entre droit et devoir
La Constitution congolaise garantit la liberté d’opinion, mais l’érige en liberté encadrée par la responsabilité individuelle. Dans un pays sortant progressivement de séquences de conflictualité politico-militaire, le législateur a régulièrement rappelé que l’incitation à la haine ethnique ou la propagation de propos diffamatoires constitue un délit. L’affaire présente donc un double enjeu : juridique, car elle pourrait appeler une clarification du parquet sur l’usage de termes incitant à la violence symbolique ; civique, car elle oblige chaque acteur à s’interroger sur la portée performative de son discours. Pour le Club 2002-PUR, refuser « l’escalade verbale » revient à consolider les acquis du dialogue politique national, notamment ceux issus des consultations de Sibiti et d’Owando.
Présidentielle 2026 : clivages rhétoriques et réalités de gouvernance
À moins de deux ans du scrutin de 2026, la scène politique s’observe à travers un prisme où la bataille des narratifs précède celle des suffrages. L’appel formel lancé à Denis Sassou N’Guesso par le Club 2002-PUR signale que les partis de la majorité entendent rallier leurs bases autour d’un discours de stabilité et d’unité. En réaction, l’opposition multiplie les signaux d’alarme quant à l’état des libertés. Toutefois, la rhétorique de la diabolisation, lorsqu’elle franchit certaines lignes rouges, risque d’aliéner un électorat fatigué des hyperboles. Comme le souligne la politiste Marie-Noëlle Mixon, « entre l’exigence de pluralisme et la préservation de la paix civile, la société congolaise recherche un compromis dynamique ».
Vers une éthique de la controverse politique
L’épisode rappelle utilement qu’aucune démocratie ne saurait prospérer sans débats vigoureux, mais qu’aucun débat n’est viable si les mots perdent leur ancrage dans la réalité historique. Le Club 2002-PUR, né en 2002 à l’initiative du sénateur Guy Wilfrid César Nguesso, revendique un rôle de « force de proposition » plus que de simple courroie de transmission du pouvoir. Sa réprobation des analogies nazies s’inscrit ainsi dans une posture de veille éthique. De son côté, le RDD devra peut-être revisiter son registre argumentatif pour demeurer audible auprès d’une communauté internationale attachée à une sémantique proportionnée. La vitalité politique congolaise en sortira sans doute renforcée si les antagonistes consentent à privilégier la rigueur des idées sur le choc des invectives.