Nil-Congo : diplomatie au fil de l’eau et du temps

Une convergence historique

C’est au début des années 1960, dans la foulée immédiate des indépendances africaines, que Le Caire et Brazzaville ont jeté les bases d’un partenariat dont la longévité interroge politologues et diplomates. Au fil des décennies, la relation s’est affranchie de l’écume conjoncturelle pour épouser les profondes mutations géopolitiques du continent. Ainsi, de la solidarité tiers-mondiste lors des conférences des Non-Alignés à Belgrade et à Lusaka jusqu’aux actuelles initiatives de modernisation économique, la constance de la coopération traduit une proximité politique rarement démentie.

En rappelant, lors de la célébration du 73ᵉ anniversaire de la révolution du 23 juillet 1952, que celle-ci incarne « les rêves de souveraineté et de justice sociale » du peuple égyptien, l’ambassadrice Imane Yakout a replacé l’histoire au cœur du dialogue bilatéral. Dans l’assistance, le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, a souligné la parenté des trajectoires de développement des deux États, insistant sur la recherche partagée d’un équilibre entre affirmation nationale et ouverture multilatérale.

La formation, levier de souveraineté partagée

Pivot discret de la coopération, la formation constitue l’un des canaux les plus visibles de la projection égyptienne en Afrique centrale. L’Agence égyptienne de partenariat pour le développement, créée en 2014, a déjà accueilli plusieurs centaines de stagiaires congolais dans les domaines de la cybersécurité, du renseignement, de la santé publique ou encore de la cartographie hydrologique. « Nous ne livrons pas seulement un savoir technique, nous partageons une culture de service public », a confié un instructeur du Collège de défense du Caire en marge de la cérémonie.

Pour Brazzaville, ces transferts de compétences répondent à une stratégie d’autonomisation des administrations spécialisées, notamment dans la gestion des risques frontaliers. Ils permettent également de densifier les réseaux d’anciens boursiers, désormais insérés au sein des ministères congolais et susceptibles de faciliter la mise en œuvre d’accords sectoriels.

Des projets structurants aux retombées régionales

Sur le plan économique, l’Égypte expose aujourd’hui une feuille de route ambitieuse articulée autour de la diversification et de la transition verte. Le mégaprojet de la centrale nucléaire d’El-Dabaa, développé avec un consortium russe, se veut le symbole d’un mix énergétique résolument tourné vers le faible carbone, tandis que la ville nouvelle d’El Alamein incarne l’urbanisme connecté au littoral méditerranéen. Pour les autorités congolaises, ces initiatives constituent des laboratoires à ciel ouvert et nourrissent la réflexion engagée sur l’aménagement de la zone économique spéciale de Pointe-Noire.

La Banque d’import-export d’Afrique (Afreximbank) envisage, selon plusieurs sources bancaires, de financer les entreprises congolaises intéressées par des partenariats dans les infrastructures portuaires ou les technologies de dessalement égyptiennes. Un tel schéma renforcerait la chaîne logistique nord-sud et rapprocherait les marchés, à l’heure où l’Accord de libre-échange continental africain appelle des corridors commerciaux opérationnels.

Diplomatie climatique et solidarité africaine

Hôte de la COP27 à Charm el-Cheikh, l’Égypte s’est élevée en porte-voix des pays du Sud en défendant la création d’un fonds dédié aux pertes et dommages subies par les États vulnérables. Brazzaville, dont 70 % du territoire est recouvert de forêts équatoriales, a vu dans cette initiative un instrument pertinent pour la valorisation des services écosystémiques qu’elle fournit à la planète. « Le bassin du Congo ne peut plus être l’oublié des négociations climatiques », déclarait récemment la ministre congolaise de l’Environnement, Arlette Soudan-Nonault, saluant « l’entregent égyptien » sur la scène multilatérale.

Au-delà de la rhétorique, les deux gouvernements explorent des projets conjoints de crédits carbone et de certification forestière qui contribueraient à la financiarisation durable des aires protégées. Les experts soulignent néanmoins la nécessité d’établir des mécanismes de gouvernance transparents afin d’éviter un simple déplacement de la rente.

Sécurité collective et médiations décisives

L’influence diplomatique du Caire s’appuie sur une tradition de médiation que confirme son implication, depuis 1948, dans le règlement du conflit israélo-palestinien. Au lendemain du 7 octobre 2023, l’Égypte a rallié la communauté internationale autour d’un cessez-le-feu à Gaza tout en acheminant un volume significatif d’aide humanitaire. Cette posture de facilitateur trouve un écho à Brazzaville, ville qui abrite régulièrement des pourparlers de paix pour la région des Grands Lacs.

Les États-majors congolais et égyptien multiplient par ailleurs les échanges doctrinaux. Dans un contexte marqué par la recrudescence des activités terroristes au Sahel et en Afrique de l’Est, l’interopérabilité des forces devient un paramètre stratégique. Les manœuvres communes envisagées sur le Nil pourraient à moyen terme être déclinées dans le cadre de la Force africaine en attente, offrant à la coopération Nil-Congo un visage opérationnel.

Cap sur 2030 : une alliance à géométrie nouvelle

Alignée sur la Vision Égypte 2030 et en résonance avec le Plan national de développement du Congo-Brazzaville, la relation bilatérale semble entrer dans une phase de maturation où la circulation du capital humain, financier et symbolique primera sur la simple assistance. L’échange d’étudiants‐chercheurs, l’appui à l’industrialisation verte et l’innovation agro-hydroponique figurent déjà sur l’agenda des commissions mixtes.

La quintessence de cette alliance réside peut-être dans sa capacité à agréger des partenaires extérieurs – russes sur le nucléaire, émiratis sur l’immobilier, européens sur la finance climat – sans diluer la prise de décision africaine. À l’heure où les puissances intermédiaires cherchent à consolider leurs arcs d’influence, l’axe Le Caire-Brazzaville offre l’image d’une diplomatie faite de constance, d’opportunisme maîtrisé et d’une lucidité commune sur les contraintes de la mondialisation.