De la carte plastique au portefeuille digital
À Brazzaville, un atelier national consacré à « une identité numérique inclusive et sécurisée » a réuni, le 16 juillet, décideurs publics, experts et partenaires techniques. En ouvrant les travaux, le ministre des Postes, des télécommunications et de l’économie numérique, Léon Juste Ibombo, a posé le diagnostic : l’ère des procédures physiques atteint ses limites face à la vélocité de la dématérialisation mondiale. Pour intégrer pleinement la chaîne de valeur numérique, le Congo ambitionne donc de doter chaque citoyen d’un identifiant électronique infalsifiable, pivot d’une administration plus agile et d’un marché numérique compétitif.
Le cadre institutionnel, clef de voûte souveraine
Dans la vision stratégique « Congo Digital 2025 », l’identité numérique est présentée comme une infrastructure de souveraineté au même titre que les routes ou l’électricité. Le ministère de l’Intérieur, par la voix du préfet Bonsang Oko Letchaud, rappelle que l’état civil demeure le fondement juridique de la citoyenneté ; sa modernisation repose sur le Système d’information des faits d’état civil (Sifec), en cours de déploiement. La consolidation d’un registre unique, interopérable avec les standards internationaux ISO et ICAO, doit permettre de fiabiliser l’émission des documents officiels tout en protégeant la confidentialité des données personnelles, conformément à la loi congolaise de 2019 sur la protection des données.
Jeunesse et compétences, moteur endogène
Au-delà de l’ingénierie technologique, le ministre Ibombo insiste sur la dimension humaine : « Nos jeunes doivent devenir les artisans et les bénéficiaires directs de cette révolution ». La mise en place d’un portefeuille numérique (Digital Wallet) s’accompagne ainsi de programmes de formation destinés aux développeurs congolais, afin d’ancrer localement l’expertise et de stimuler l’entrepreneuriat. Dans un pays dont la population est majoritairement âgée de moins de trente ans, cet accent sur le capital humain répond autant à un impératif économique qu’à une attente sociétale en matière d’employabilité.
Partenaires internationaux, accélérateurs prudents
Le financement du Projet d’accélération de la transformation numérique (PATN) par la Banque mondiale illustre l’importance accordée à la gouvernance des identités dans les stratégies d’inclusion financière. À l’atelier, le représentant de Thalès, Laurent Jutard, a rappelé que la sécurisation des identités constitue le premier pilier de toute administration électronique. La coopération avec ces partenaires extérieurs, qui apportent technologie et méthodologie, s’inscrit toutefois dans un cadre contractuel visant à maintenir le contrôle national sur les données, enjeu sensible dans le débat mondial sur la souveraineté numérique.
Enjeux sécuritaires et identité partagée
Sur le plan géopolitique, la sécurisation des frontières numériques est indissociable de la stabilité régionale. Face aux menaces transfrontalières – criminalité organisée, flux migratoires non régulés, cyberattaques –, disposer d’un référentiel d’identités biométriques robustes devient un outil de prévention et de réponse. Le ministère de l’Intérieur y voit un levier pour rationaliser la délivrance des titres de séjour, renforcer le contrôle aux frontières et faciliter, par ricochet, la mobilité intra-communautaire conformément aux engagements de la CEEAC.
Vers une citoyenneté augmentée
À court terme, l’identité numérique devrait simplifier les démarches administratives : déclaration de naissance, obtention de passeport, paiement des impôts ou inscription électorale pourront être réalisés en ligne, réduisant les coûts de transaction pour l’État et pour les usagers. À moyen terme, l’intégration de la signature électronique et de l’authentification forte ouvrira la voie à des services financiers innovants, catalyseurs d’une croissance inclusive. « Bâtir un Congo digital, c’est d’abord placer le citoyen au cœur de l’architecture de services », résume le ministre.
Le pari est ambitieux : conjuguer protection des libertés individuelles, fiabilité technologique et rentabilité socio-économique. S’il est tenu, le système d’identité numérique deviendra un vecteur structurant de la transformation publique et privée, inscrivant le pays dans la carte des économies africaines où le numérique n’est plus seulement un slogan, mais un outillage concret de gouvernance et de compétitivité.