Un dialogue stratégique à géométrie variable
Quelques mois après la première commission mixte tenue à Caracas, la capitale congolaise a de nouveau servi de décor à un échange au sommet entre la ministre des Transports du Congo, Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas, et l’ambassadrice vénézuélienne Laura Evangelia Suárez. Si la cordialité diplomatique n’est pas nouvelle, la densité des portefeuilles discutés révèle une volonté convergente de donner corps à une coopération jusque-là principalement déclarative. Aux accords parapher en 2023 vient désormais s’ajouter la recherche d’implémentations concrètes, qu’il s’agisse de facilitations portuaires, de dessertes aériennes ou de programmes de formation croisée des cadres des deux administrations.
Le prisme géopolitique d’une entente Sud-Sud
Dans un contexte international marqué par une compétition accrue pour les corridors logistiques, le rapprochement entre Brazzaville et Caracas illustre la montée en puissance de partenariats dits horizontaux, où les pays émergents élaborent leurs propres grammaires de la coopération. Au-delà du symbolisme, il s’agit d’optimiser l’accès aux marchés de l’Atlantique et de la mer des Caraïbes pour le Congo, tout en permettant au Venezuela de consolider des ancrages africains qui contournent les traditionnels pôles occidentaux. Cette stratégie répond à une double logique de résilience économique et de redéploiement diplomatique, chacun des deux États cherchant à diversifier ses flux commerciaux et financiers face aux volatilités des cours pétroliers.
Maritime : des ports comme laboratoires de modernité
Le segment maritime, pilier historique de l’échange de matières premières, se réinvente aujourd’hui en hub de services à haute valeur ajoutée. Les discussions ont porté sur la possibilité d’échanges d’expertise dans la gestion des terminaux à conteneurs et la digitalisation des procédures portuaires. Le port autonome de Pointe-Noire, considéré comme l’un des mieux abrités du golfe de Guinée, pourrait accueillir une mission technique vénézuélienne afin de capitaliser sur le savoir-faire de la compagnie portuaire de La Guaira en matière de sûreté et de traçabilité. À terme, la perspective d’une ligne maritime régulière reliant la côte caraïbe aux rivages congolais participerait à l’émergence d’une route commerciale Sud-Sud moins dépendante des plaques tournantes européennes.
Aérien : vers une connectivité transatlantique inédite
Sur le registre aérien, la reprise post-pandémique du trafic offre un terrain favorable à l’audace. Les autorités examinent la faisabilité d’un code-share entre ECAir, en phase de relance, et Conviasa, la compagnie publique vénézuélienne. Un tel montage aurait vocation à établir, via une escale technique, une liaison bi-hebdomadaire qui fluidifierait non seulement les déplacements diplomatiques mais aussi les flux de touristes et d’investisseurs. Outre l’ouverture de nouveaux marchés, l’enjeu réside dans la coopération pour la maintenance des appareils et la formation des personnels navigants, domaines où le transfert de compétences pourrait accélérer la montée en gamme des deux transporteurs.
Diversification économique et empowerment féminin
Si l’or noir demeure un point de convergence évident, la séquence brazzavilloise a mis en lumière une volonté partagée de dépasser la dépendance pétrolière. Le geste symbolique de l’ambassadrice, offrant cacao, chocolat et « Miel de femme » produits par des entrepreneures vénézuéliennes, cristallise la place accordée aux chaînes de valeur agricoles et à l’entrepreneuriat féminin. Comme l’a souligné Laura Suárez, « la diversification est un impératif stratégique ». L’accent mis sur les PME dirigées par des femmes s’inscrit dans les programmes gouvernementaux congolais favorisant l’autonomisation économique, vecteur reconnu de stabilité sociale et de croissance inclusive selon de récents rapports de la Banque africaine de développement.
Enjeux de gouvernance et de soutenabilité
La matérialisation des protocoles d’accord exige toutefois une gouvernance robuste. Du côté congolais, la mise en compatibilité des cadres juridiques dans le transport maritime et aérien doit s’accompagner d’une amélioration continue des standards de sûreté, sous l’œil attentif de l’Organisation maritime internationale et de l’OACI. Les partenaires vénézuéliens, aguerris aux contraintes d’embargos sectoriels, disposent d’une expérience en matière de résilience qui pourrait inspirer les régulateurs congolais confrontés aux problématiques de cybersécurité portuaire et de certification aéronautique. Ce partage d’expertise revêt une dimension de soutenabilité environnementale : l’introduction de carburants moins émissifs et de pratiques portuaires écoresponsables figure désormais à l’agenda des deux ministères.
Perspectives d’une synergie gagnant-gagnant
Au terme de cette séquence diplomatique, la coopération Congo-Venezuela dans les transports se présente comme un microcosme des défis que doivent relever les économies en développement : réduire la vulnérabilité à la mono-exportation, renforcer les infrastructures et donner un visage humain à la mondialisation. En articulant logistique, savoir-faire industriel et inclusion sociale, Brazzaville et Caracas esquissent les contours d’une diplomatie économique où la connectivité devient vecteur d’influence et d’opportunités partagées. Le calendrier des travaux techniques à venir, confié à un comité mixte, permettra de jauger la vitesse de concrétisation. Mais l’élan semble amorcé : port et ailes conjugués pourraient bien tracer une route inédite reliant les deux rives de l’Atlantique sud, au service d’une croissance davantage soutenable et inclusive.