Entrée en scène de la société civile
Les couloirs feutrés de la Maison de la société civile de Brazzaville ont résonné, du 10 au 11 juillet 2025, des échanges nourris de six organisations non gouvernementales réunies sous la bannière de la Coraged. À l’issue de ces travaux, leurs dirigeants ont rendu publique une déclaration commune invitant l’ensemble des forces vives à une concertation nationale préalable au scrutin de mars 2026. Le secrétaire permanent du Conseil consultatif de la société civile, Céphas Germain Ewangui, a salué « une démarche de vigilance citoyenne qui traduit la maturation de notre espace public », affirmant que l’heure est désormais « à la consolidation plus qu’à l’instauration » d’un ordre démocratique.
Cette prise de parole, loin de contester la légitimité des institutions, se veut un appel à l’anticipation. Les signataires insistent sur la nécessité de sécuriser aussi bien les personnes que les biens, en garantissant l’expression plurielle des libertés fondamentales, notamment la liberté de presse, perçue comme clef de voûte d’un débat électoral rationnel et apaisé.
Les attendus d’une concertation inclusive
En filigrane de la déclaration, les ONG entendent élargir la culture de la délibération qui caractérise la scène politique congolaise depuis la conférence nationale souveraine de 1991. Elles suggèrent qu’une réunion rassemblant gouvernement, partis, confessions religieuses, médias et universitaires puisse acter un calendrier consensuel, définir un plan de sécurisation des bureaux de vote et rappeler les obligations déontologiques des différents acteurs. Elles estiment qu’un tel espace permettrait de prévenir les malentendus sur les procédures, de réduire le coût symbolique de la compétition et d’offrir à l’électeur un horizon débarrassé de la peur du lendemain.
Le rappel est d’autant plus stratégique que la dernière décennie a consolidé une pratique où le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, convoque régulièrement une concertation des forces vives avant chaque séquence électorale majeure. Cette tradition, soulignent les ONG, a contribué à maintenir des consultations dans les délais constitutionnels, en dépit d’un environnement macroéconomique parfois chahuté par la volatilité des cours des matières premières.
La trajectoire institutionnelle depuis 2002
Depuis le référendum constitutionnel de 2002, le Congo-Brazzaville s’est inscrit dans un cycle électoral régulier, jalonné par des réformes graduelles du cadre juridique. Plusieurs observateurs, dont le constitutionnaliste Aurélien Boukadia, notent que « la prévisibilité du calendrier a réduit la tentation du recours à la violence comme mode de régulation des conflits politiques ». Cette stabilisation institutionnelle s’est accompagnée d’un effort budgétaire constant pour doter la Commission nationale électorale indépendante de moyens opérationnels, même durant les phases de contrainte financière.
La Coraged reconnaît ces avancées tout en pointant des marges de progression : digitalisation intégrale des listes électorales, évolution des modalités de dépouillement et renforcement des mécanismes de formation civique. Autant d’innovations qui, selon elle, pourraient être débattues en amont afin d’éviter toute suspicion de réforme unilatérale.
Défis sécuritaires et médiatiques dans la perspective 2026
Au-delà de l’ingénierie électorale, la pré-campagne actuelle met en lumière deux défis majeurs : la sécurisation territoriale et la qualité de l’information. Dans certaines zones frontalières, les dynamiques transfrontalières font planer un risque de circulation d’armes légères. Le politologue Fulgence Nkouka rappelle que « la tenue d’un scrutin n’est jamais un acte isolé ; elle s’inscrit dans un écosystème régional où la moindre perturbation peut produire des répliques en chaîne ».
Sur le plan médiatique, la multiplication des plateformes numériques accroît la vitesse de diffusion des rumeurs. Les associations prônent une charte d’éthique actualisée pour que la pluralité de la presse ne se traduise pas par une cacophonie anxiogène. Elles réaffirment la nécessité d’un régulateur capable de concilier liberté éditoriale et vérification rigoureuse, condition d’une participation éclairée.
Vers une culture électorale apaisée
En invitant les acteurs à « se déterminer en fonction des valeurs intrinsèques de la nation », la Coraged s’inscrit dans une lecture sociologique où la cohésion sociale ressort comme capital immatériel premier. L’élection n’est pas seulement un mécanisme de sélection des gouvernants ; elle cristallise la capacité d’une société à gérer ses différends par la parole et non par la force. L’appel à la concertation traduit donc un souci de transformation qualitative du lien civique, atout essentiel pour un pays qui entend pleinement mobiliser son potentiel démographique et économique.
La balle est désormais dans le camp des décideurs politiques. Les précédents dialogues nationaux ont montré que la rencontre des sensibilités antagonistes n’entraîne pas mécaniquement la discorde. Bien au contraire, la formalisation d’un espace de dialogue a souvent permis de dégager des compromis pragmatiques, gages de stabilité et de confiance. Si un tel scénario se reproduit avant mars 2026, le rendez-vous électoral pourrait devenir un moment de célébration de la maturité démocratique congolaise, prolongeant l’effort engagé depuis plus de trois décennies.