Rabat : l’Afrique observe, la démocratie se renforce

Une diplomatie pédagogique remarquée

Au sein des couloirs feutrés du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, le dernier rapport semestriel du président de la Commission, Mahmoud Ali Youssouf, a fait figure de mise en lumière rare : l’initiative marocaine en matière de formation des observateurs électoraux y est qualifiée d’« effort structurant pour la gouvernance du continent ». La tonalité, volontairement sobre, n’en masque pas l’impact diplomatique. Dans un contexte où la qualité des scrutins reste un baromètre de stabilité, Rabat a choisi de mobiliser son expertise académique pour répondre à une demande africainement exprimée, adoptant une posture de partenaire plutôt que de donneur de leçons.

Cette stratégie d’influence douce s’inscrit dans une tradition maroco-africaine déjà ancienne, qui conjugue coopération sécuritaire, initiatives climatiques et, désormais, ingénierie électorale. Comme le rappelle la politologue camerounaise Lydie Owona, « la transmission de savoirs constitue un levier d’influence plus durable que la seule aide financière ». L’Union africaine, en officialisant son satisfecit, confère à cette diplomatie pédagogique un vernis institutionnel de nature à en amplifier la portée.

La genèse d’un partenariat africain

Lancé en juin 2022 sous l’égide conjointe du Département des affaires politiques, de la paix et de la sécurité de l’UA et du Policy Center for the New South, le programme de Rabat épouse un calendrier réaliste : quatre sessions en trois ans, chacune de quatre jours, ponctuées de simulations d’observation en situation. La quatrième session, qui s’est tenue en avril 2025, a réuni cent vingt nouveaux auditeurs, portant à plus de trois cents le vivier d’experts désormais mobilisables sur le continent.

Ce format court, mais intensif, s’appuie sur des modules de droit électoral comparé, de cartographie des risques sécuritaires et de méthodologie statistique. Selon le coordinateur scientifique, le professeur Abderrahman El Fassi, « l’enjeu est de combiner regard juridique et réflexes de terrain pour produire un monitoring crédible ». L’Union africaine entend ainsi réduire la dépendance aux observateurs extra-continentaux, souvent perçus comme porteurs d’agendas distincts.

Un impact chiffré et genré

La répartition des bénéficiaires illustre la vocation panafricaine du dispositif : cinquante-deux États représentés, des îles de l’océan Indien aux plaines sahéliennes. Fait notable, cent soixante-quinze participantes féminines constituent désormais plus de la moitié des personnes formées. À l’heure où les statistiques de 2024 situent la représentation féminine dans les missions d’observation autour de 28 % seulement, la progression est jugée « exponentielle » par la Division genre de l’UA.

L’« Appel à l’action de Rabat », adopté en marge de la dernière session, détaille cinq orientations prioritaires, parmi lesquelles l’instauration de quotas de genre au sein des organes électoraux et la budgétisation de la sécurité des femmes observatrices. Pour la juriste congolaise Françoise Mapata, adjointe au Centre de formation électorale de Brazzaville, ces engagements « offrent aux États des lignes directrices concrètes, sans caractère contraignant, mais à forte valeur normative ».

Résonances régionales pour le Congo

Le Congo-Brazzaville, dont le processus électoral de 2026 se prépare en amont, figure parmi les bénéficiaires directs, avec sept experts formés depuis 2022. Le ministère de l’Administration du territoire souligne que ces profils contribueront à « objectiver les rapports d’observation nationaux », renforçant ainsi la crédibilité interne et internationale des futurs scrutins. Dans un contexte de réformes institutionnelles destinées à consolider la paix civile, Brazzaville voit dans cette montée en compétences un moyen d’ancrer davantage la transparence électorale voulue par le président Denis Sassou Nguesso.

La présence, lors de la session d’avril, d’un contingent d’experts de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale illustre également la volonté de mutualiser les acquis. Selon un diplomate de la CEEAC, « le standard méthodologique unique simplifie les déploiements conjoints et limite les divergences d’interprétation des incidents électoraux ». Cette convergence peut, à terme, fluidifier les cycles électoraux dans la sous-région, réduisant les tensions post-scrutin.

Perspectives continentales

Au-delà des indicateurs quantitatifs, l’UA cherche désormais à mesurer l’incidence qualitative de la formation sur la conduite même des missions. Un protocole d’évaluation, fondé sur l’analyse comparée des rapports de terrain avant et après 2022, est en cours d’élaboration à Addis-Abeba. L’objectif : identifier les corrélations entre professionnalisation des observateurs et acceptation des résultats par les forces politiques.

À court terme, l’ambition affiche un horizon clair : disposer, d’ici 2027, d’un pool de cinq cents observateurs africains certifiés, aptes à couvrir simultanément plusieurs scrutins majeurs, notamment ceux prévus au Nigeria, en Angola et en République démocratique du Congo. Pour M. Youssouf, « la crédibilité électorale est un capital symbolique qui se construit aussi par la confiance des citoyens dans leurs propres experts ». La démarche impulsée par Rabat participe de cette confiance partagée, pierre angulaire d’une gouvernance africaine résolument tournée vers la stabilité et le développement.