Réformes santé : le Congo à l’heure du sursaut

Un rendez-vous historique sous le sceau de l’ODD 3

Quarante-et-un ans séparaient la session de 1984 de celle qui vient de s’achever à Brazzaville. Ce hiatus illustre à lui seul la mutation démographique, épidémiologique et environnementale à laquelle le Congo-Brazzaville est désormais confronté. La convocation du Conseil national de la santé, du 16 au 18 juillet 2025, a donc pris valeur d’instant fondateur. Le ministre de la Santé et de la Population, Jean-Rosaire Ibara, l’a rappelé : bâtir « un système résilient et proactif » n’est plus une option, mais une nécessité stratégique pour atteindre d’ici 2030 l’Objectif de développement durable n° 3, qui promeut une vie saine et le bien-être pour tous.

De la gouvernance à la légistique : un cadre à consolider

Les délégués ont d’abord posé la question du cadre juridique. Selon plusieurs experts en droit de la santé présents aux assises, la réhabilitation du Conseil national de la santé offre un espace pérenne de concertation fondé sur des données probantes. Il s’agit de clarifier les compétences respectives des ministères, des collectivités locales et des acteurs privés, afin de rendre les décisions plus prévisibles et plus transparentes. Dans un contexte marqué par de fréquentes urgences sanitaires, l’actualisation de textes remontant à la décennie 1980 permettra de réduire les dilutions de responsabilité qui retardent les interventions sur le terrain.

Le nerf de la guerre : équité budgétaire et couverture financière

La question du financement concentre les attentes. À ce jour, la dépense publique de santé oscille autour de 3 % du PIB, un ratio jugé en-deçà des recommandations de l’OMS pour les pays à revenu intermédiaire inférieur. Les participants proposent un paquet de mesures : application efficiente de la taxe santé sur certains produits à risque, budgétisation pluriannuelle et mobilisation de partenariats innovants, notamment via des obligations de développement durable attractives pour les investisseurs régionaux. L’enjeu est double : soutenir la gratuité ciblée de soins essentiels pour les couches vulnérables et garantir la viabilité de la Caisse nationale d’assurance-maladie, pierre angulaire voulue par le chef de l’État pour asseoir la solidarité nationale.

À moyen terme, la mise en place d’un observatoire indépendant du financement sanitaire permettrait de suivre la traçabilité des dépenses et de renforcer la confiance des bailleurs internationaux, un prérequis pour attirer davantage de financements concessionnels (Banque africaine de développement).

Capital humain : former, retenir, protéger

La densité médicale nationale reste inférieure au seuil de 4,45 professionnels pour mille habitants recommandé par l’OMS. Les discussions ont mis l’accent sur un plan décennal de formation continue, l’incitation au retour des praticiens formés à l’étranger et l’amélioration du statut des agents ruraux, souvent en première ligne. À cet égard, l’instauration d’un mécanisme de primes d’éloignement indexé sur la cherté de la vie hors des pôles urbains a été saluée comme une mesure de justice territoriale.

Parallèlement, les participants ont souligné la nécessité d’un renforcement de la protection sociale des soignants, éprouvés lors de la pandémie de Covid-19. Le déploiement d’un fonds dédié aux risques professionnels contribuerait à sécuriser les carrières et à prévenir l’exode des compétences vers les pays du Golfe ou de l’Europe francophone.

Infrastructures, climat et résilience territoriale

La cartographie des formations sanitaires révèle encore des poches de sous-équipement notoires, notamment dans la Likouala et le Niari. Les experts ont préconisé une approche phasée : réhabilitation prioritaire de soixante-dix centres de santé intégrés, déploiement de cliniques mobiles et intégration systématique de critères écoresponsables dans les nouveaux appels d’offres. Ces exigences répondent à un impératif climatique désormais central, le Congo abritant la plus grande part du deuxième massif forestier tropical de la planète.

La résilience passe aussi par une amélioration de la chaîne du froid pour les vaccins, alors que les températures moyennes connaissent une hausse d’environ 0,3 °C par décennie selon les données nationales de météorologie. Investir dans des solutions solaire-hybrides contribuerait à éviter les ruptures de stock, tout en limitant l’empreinte carbone du secteur.

Partenariats public-privé : vers une synergie régulée

Le secteur privé représente près de 40 % de l’offre de soins primaire dans les grands centres urbains. Les participants appellent à un nouveau pacte de confiance permettant d’aligner la rentabilité économique et les objectifs de santé publique. Un mécanisme de contractualisation assorti d’indicateurs de performance, tel qu’expérimenté au Rwanda, pourrait constituer un modèle. Pour le ministre Jean-Rosaire Ibara, l’important est de « transformer nos ambitions en actions concrètes », rappelant que la régulation doit garantir l’accessibilité et la qualité des prestations.

Vers un pilotage data-driven et participatif

Enfin, la culture de l’évaluation a été au cœur des échanges. La généralisation d’un dossier médical informatisé national, interopérable avec les registres démographiques, faciliterait la veille épidémiologique et l’allocation rationnelle des ressources. Parallèlement, la participation communautaire est appelée à prendre un nouveau souffle via des comités de santé locaux dotés d’un budget propre, afin de faire remonter les alertes sanitaires et de promouvoir la prévention à la base. Les ONG spécialisées dans la santé maternelle ou la lutte contre le paludisme ont salué cette orientation, jugeant qu’elle renforce la cohésion sociale autour d’ objectifs partagés.

Perspectives stratégiques et devoir d’audace

À l’issue de trois jours d’intenses travaux, le Conseil national de la santé a donc dessiné une trajectoire ambitieuse mais réaliste. La réussite reposera sur la continuité politique, la discipline budgétaire et l’engagement citoyen. En insistant sur l’équité comme exigence morale, le gouvernement congolais s’inscrit dans la lignée d’approches prônées par l’Union africaine. Reste désormais à traduire ces recommandations en décrets, à en fixer les calendriers et à en mesurer les effets. La capacité à conjuguer audace et méthode déterminera, in fine, la crédibilité du sursaut engagé et la qualité de vie des générations futures.