Un impératif souverain dans le virage digital
Du haut de la tribune dressée au ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Léon Juste Ibombo a donné le ton : il s’agit « d’inscrire le Congo dans le cercle des nations » qui, face à la déferlante de la dématérialisation, ont choisi de confier à chaque citoyen une existence authentifiée par des attributs numériques inaltérables. L’atelier organisé le 16 juillet à Brazzaville, placé sous la thématique « Vers une identité numérique inclusive et sécurisée », a rappelé que le pays ne pouvait différer davantage cette transition, à l’heure où la majorité des procédures publiques mondiales migrent vers des plateformes en ligne.
Cette exigence répond moins à un effet de mode qu’à une quête de souveraineté. Dans un contexte international marqué par la rivalité technologique et la circulation massive de données, disposer d’un registre d’identité numérique revient à contrôler l’accès stratégique à l’information sensible, à réduire la fraude documentaire et à renforcer la traçabilité des flux financiers. Le gouvernement entend ainsi lier la réforme à la consolidation de l’État de droit, dans la perspective d’un climat des affaires assaini et d’une citoyenneté facilitée.
Le PATN et l’appui des partenaires techniques
Pour traduire l’intention politique en architecture opérationnelle, le pouvoir exécutif s’appuie sur le Projet d’accélération de la transformation numérique (PATN), financé à hauteur de 100 millions de dollars par la Banque mondiale. Cette manne, décrite comme un levier de structuration, cible la modernisation des infrastructures, la formation d’experts locaux et l’interconnexion sécurisée des bases de données publiques.
Le Centre africain de recherche en intelligence artificielle, joyau scientifique installé à Ouesso, est présenté comme la colonne vertébrale du dispositif. Ses algorithmes devraient garantir l’unicité biométrique des individus et prévenir les doublons, préalable indispensable à la délivrance dématérialisée de documents sensibles tels que l’acte de naissance, la carte nationale d’identité ou le passeport. L’entreprise Thalès, forte d’une expertise reconnue dans la cryptographie, apporte quant à elle des solutions de sécurisation des supports physiques, confirmant la dimension partenariale du chantier.
Construire la confiance citoyenne autour des données
Au-delà de la technologie, l’identité numérique convoque immédiatement la question de l’acceptabilité sociale. Dans un pays où le rapport à l’administration demeure empreint d’héritages bureaucratiques, l’enjeu consiste à convaincre l’usager que la protection de ses données personnelles ne sera pas sacrifiée sur l’autel de la performance. Les responsables gouvernementaux insistent donc sur la transparence des protocoles de collecte, le chiffrage de bout en bout et l’adossement à une législation conforme aux standards internationaux relatifs à la vie privée.
Les bénéficiaires anticipent déjà des gains tangibles : ouverture simplifiée de comptes bancaires, accès accéléré aux programmes de couverture maladie, vote facilité pour les diasporas et réduction des files d’attente administratives. Les études menées par l’Union africaine montrent que l’inclusion financière peut progresser de dix points dès la première année d’adoption d’un identifiant digital unique, un argument qui trouve un écho particulier dans les milieux d’affaires Brazzavillois.
Une dynamique économique et régionale
Sur le plan macroéconomique, la bascule vers des identifiants numériques interopérables pourrait générer, selon la Commission économique pour l’Afrique, une hausse du produit intérieur brut de 2 % à 3 % en réduisant les pertes fiscales liées à l’informel. Le Congo entend également se positionner comme hub sous-régional en matière de services authentifiés, profitant de ses dorsales fibre optique et de la redondance fournie par le câble sous-marin 2Africa.
Cette stratégie rejoint les ambitions de la Zone de libre-échange continentale africaine, où la reconnaissance mutuelle des identités numériques pourrait fluidifier les échanges et accroître la mobilité des compétences. En se dotant rapidement d’un système robuste, Brazzaville espère ainsi capter une part des investissements technologiques destinés au bassin du Congo.
La souveraineté numérique comme horizon stratégique
En filigrane, la réflexion revient toujours à la souveraineté, notion que le ministre Léon Juste Ibombo a brandie comme fil conducteur du chantier. « Nous n’avons d’autre choix que de bâtir un système d’identité numérique fiable, inclusif et sécurisé », a-t-il rappelé, soulignant que la préservation de la souveraineté numérique passe par la maîtrise locale des données stratégiques et par la montée en compétence des ressources humaines nationales.
L’agenda « Congo Digital 2025 » illustre cette vision holistique où infrastructures, formation, financement et cadre juridique avancent de concert. Si les défis restent légion — interopérabilité des bases existantes, couverture réseau des zones enclavées, adoption culturelle — la dynamique enclenchée laisse entrevoir un écosystème numérique cohérent, porteur de valeur ajoutée et protecteur des libertés fondamentales.
À mesure que le pays finalise ses choix technologiques, il demeure attentif à l’équilibre délicat entre innovation et régulation. L’identité numérique, en façonnant l’interface entre l’État et l’individu, apparaît comme l’un des principaux marqueurs du contrat social rénové que Brazzaville souhaite proposer à ses citoyens et à ses partenaires internationaux.