Un héritage diplomatique enraciné dans les années 1960
Lorsque Brazzaville accède à la souveraineté en 1960, Le Caire figure déjà parmi les capitales promptes à reconnaître la jeune République du Congo. Dans la foulée du panafricanisme porté par Gamal Abdel Nasser, les deux États inaugurent une relation que l’ambassadrice Imane Yakout qualifie encore aujourd’hui d’« historique ». Elle rappelle, à l’occasion du soixante-treizième anniversaire de la révolution égyptienne du 23 juillet 1952, que ce lien symbolise la quête partagée de justice sociale et d’indépendance stratégique. Depuis, la constellation des présidents congolais, dont l’actuel chef de l’État Denis Sassou Nguesso, n’a jamais démenti cet axe afro-africain considéré comme un levier de diversification partenariale face aux influences extra-continentales.
La dimension stratégique de la formation
Au fil des décennies, la coopération sécuritaire s’est affirmée comme un pilier tangible. « L’Agence égyptienne de partenariat pour le développement offre aux cadres congolais un accès privilégié à des cycles de perfectionnement, notamment en matière de défense et de sécurité », souligne la diplomate. Ces formations, régulièrement saluées par le ministre congolais des Affaires étrangères Jean Claude Gakosso, irriguent la doctrine militaire nationale d’une expertise combinant savoir-faire égyptien et réalités équatoriales. Dans un contexte sahélien sous tension, cet investissement dans le capital humain consolide l’autonomie stratégique de Brazzaville et renforce la cohérence des dispositifs régionaux de maintien de la paix.
Synergies économiques et transition verte
L’agenda économique, longtemps discret, prend aujourd’hui une valeur cardinale. La cite balnéaire de Ras El Hekma, la future ville nouvelle d’El Alamein ou encore la centrale nucléaire d’El-Dabaa traduisent la volonté égyptienne de diversifier ses vecteurs de croissance tout en embrassant, par la Vision 2030, une trajectoire de durabilité. Cet activisme inspire Brazzaville, engagée dans la valorisation de la zone économique spéciale de Pointe-Noire et l’ambitieux programme de la « République verte ». Les discussions actuelles portent sur un partage d’expertise dans la gestion du littoral, la construction d’infrastructures résilientes et la montée en puissance des énergies renouvelables fluviales.
Un tandem africain face aux défis climatiques
L’expérience de la COP 27 à Charm el-Cheikh a démontré la capacité de l’Égypte à faire entendre les intérêts africains, en obtenant un accord historique sur le financement des pertes et préjudices causés par les catastrophes climatiques. Brazzaville, qui abrite le premier bassin de carbone d’Afrique centrale, a vu dans ce succès diplomatique une confirmation de la pertinence d’alliances Sud-Sud assumées. Le Congo, confronté aux inondations récurrentes du bassin du fleuve éponyme, perçoit l’expertise égyptienne en matière de gestion nilotique comme un modèle transposable pour la régulation du débit fluvial et la protection des berges.
Entre médiation et paix globale : l’apport congolais-égyptien
Le dialogue bilatéral ne se limite pas à la sphère technique. Sur le théâtre diplomatique, Le Caire et Brazzaville se rejoignent dans la défense du multilatéralisme et du principe de non-ingérence. L’Égypte, engagée de longue date dans la médiation israélo-palestinienne, a joué un rôle clé dans la recherche d’un cessez-le-feu à Gaza après le 7 octobre 2023. Le Congo, pour sa part, assume depuis plusieurs années des fonctions d’entremetteur discret dans les crises régionales d’Afrique centrale, de la Centrafrique au Tchad. Cette convergence de démarches pragmatiques, nourrie par une vision partagée de la souveraineté, conforte la crédibilité de l’axe Brazzaville-Le Caire au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine.
Perspectives et feuille de route partagée
À l’heure où s’esquisse une reconfiguration des chaînes de valeur mondiales, la relation congolo-égyptienne dispose d’atouts pour se hisser au rang de partenariat stratégique. Les autorités congolaises envisagent de s’appuyer sur l’ingénierie égyptienne afin d’accélérer la modernisation des voies ferrées et de l’agro-industrie, tandis que le Caire voit dans le port en eaux profondes de Pointe-Noire un débouché logistique vers l’Atlantique. Au-delà des intérêts mutuels, la profondeur historique du lien confère à chaque projet une légitimité sociale, car il renvoie à un imaginaire africa-centré de solidarité et de co-développement. Les sextuors d’étudiants, d’ingénieurs et d’officiers qui franchissent chaque année les rives du Nil et du fleuve Congo incarnent déjà le ciment humain de cette diplomatie du concret. Si les défis demeurent nombreux, la densité des échanges laisse augurer d’un partenariat appelé à s’adapter, sans se démentir, aux inflexions de la géopolitique continentale.